Thursday, September 30, 2004

Culpables els ‘neoconservadors’

Alexandre Adler: Les néoconservateurs sont-ils coupables ?
Le Figaro, 29/09/2004.

Dans les controverses nombreuses et fondées qui ont émergé depuis le 11 septembre 2001, deux me semblent fondamentales : l’Amérique a-t-elle délibérément programmé la série de ses interventions au Moyen-Orient ? Al-Qaida est-elle une organisation centralisée dotée de buts stratégiques, ou bien n’est-elle que l’efflorescence d’une violence idéologique et sociale que porterait la crise de l’islam contemporain ?

On peut répondre à ces deux questions fondamentales de manière assez différente : l’extrême gauche politiquement correcte croit à la centralisation politique aux Etats-Unis et à la décentralisation de la violence islamique. Par là, elle accuse la première et exonère la seconde. Une partie de l’opinion — qui se complaît à renvoyer dos à dos fondamentalisme islamique et soi-disant fondamentalisme chrétien aux Etats-Unis — pencherait pour une réponse positive aux deux questions. La crise que nous vivrions serait alors le déclenchement d’un affrontement profondément immoral entre deux violences potentielles également aveugles.

Pour ma part, je donnerai résolument la préférence à une troisième hypothèse, celle qui voit une forte centralisation et un projet politique cohérent dans l’action d’al-Qaida et considère, en revanche, la somme des actions entreprises dans la hâte et l’angoisse par une Amérique blessée en son tréfonds depuis le 11 septembre 2001 comme l’expression d’une réaction plus pragmatique que délibérée.


Ce point de vue n’est pas majoritaire, tant s’en faut dans notre pays, et pour le défendre entièrement nous aurons bien besoin de deux articles. Le présent article, qui s’insère dans une série des pages «Débats et opinions» consacrée aux Etats-Unis, se concentrera donc en totalité sur le problème américain. A ceux qui voient dans l’action de George W. Bush un programme délibéré mis en oeuvre avec une authentique résolution stratégique, on peut répondre par trois sortes d’arguments : la stratégie de la présidence américaine, car il y en avait une dès le départ, a été totalement bouleversée par les événements ; les néoconservateurs n’ont jamais constitué un centre d’initiative et de réflexion autonomes, mais une simple expression idéologique d’une posture qui s’est mise en place largement sous l’impératif d’événements particulièrement violents et tragiques.

De l’élection de George W. Bush à la fin de l’an 2000 à l’attentat du 11 septembre, neuf mois se sont écoulés où la nouvelle équipe républicaine a en réalité beaucoup oeuvré, beaucoup agi, beaucoup pensé. Elle n’a pas planifié alors l’invasion de l’Irak, ni envisagé – ce que lui reproche à juste titre la commission d’enquête du Sénat – l’ampleur du danger incarné par le terrorisme islamiste. Sans multiplier les exemples de détail qui seraient fastidieux pour le lecteur, rappelons que les deux grandes affaires invoquées par George W. Bush étaient alors l’accélération de la mise en place d’un grand marché unique «de l’Alaska à la Terre de Feu», et la dénonciation du traité dit «ABM» qui liait encore les Etats-Unis à la Russie et les contraignait à limiter considérablement leurs efforts en vue de créer un bouclier spatial antimissiles.

Par ailleurs, Condoleezza Rice avait exprimé, peu avant l’élection de son patron, l’idée d’un désengagement complet des Etats-Unis des Balkans où, selon elle, l’Europe devait à présent être assez grande pour se débrouiller toute seule. Si la question irakienne était débattue, on ne voit pas trace d’un plan complet d’invasion de l’Irak. Mieux, Colin Powell, en tournée au Moyen-Orient au printemps 2001, pourra évoquer la possibilité de «sanctions intelligentes» contre l’Irak qui semblaient accepter l’idée d’une atténuation de la pression sur Bagdad et non de son intensification. Sans doute le Pentagone était-il d’un avis différent, mais pas totalement : Rumsfeld voulait à l’époque concentrer le maximum de moyens sur le renforcement technologique de la puissance militaire américaine — et, pour lui aussi, une campagne classique de grande envergure au Moyen-Orient était une distraction malvenue. Pas d’offensive concertée dans tout cela, pour créer délibérément une rupture avec l’Europe ou, encore moins, provoquer un enlisement durable dans une région du monde pour laquelle l’Administration éprouvait une méfiance instinctive.

Tout change, évidemment, lorsque le 11 septembre 2001 crée la nécessité de s’intéresser aux problèmes de l’islamisme sur une tout autre échelle et que le succès brillant, et même inespéré, de la campagne afghane de l’automne 2001 persuade à l’excès l’équipe du Pentagone ainsi que le vice-président Cheney de la faisabilité d’une guerre éclair à effectifs réduits en Irak. Pour qui lit en effet l’ouvrage prémonitoire de l’ancien responsable de la CIA pour l’Irak, Jonathan Pollack, il apparaît bien qu’une invasion de la Mésopotamie suppose la participation turque et des effectifs pratiquement doubles de ceux qui ont été alors engagés.

Pourquoi un tel coup de dés a-t-il été entrepris ? La théorie en vogue dans le monde musulman est tout simplement de dire que le gouvernement américain étant tombé sous la coupe d’une bande de juifs fanatiquement dévoués à Israël, le président n’a fait qu’appliquer les instructions de ces maîtres véritables. Trop proche du Protocole des sages de Sion, cette thèse a fini par trouver une sorte de laïcisation atténuée dans la dénonciation d’un groupe idéologique, les néoconservateurs, dont la cohérence de vues et l’aveuglement stratégique seraient à l’origine de la décision d’envahir l’Irak. Et là, comme le grand éditorialiste David Broder le disait plaisamment et injustement de Nixon, ce n’est pas tellement que les auteurs de ce genre de thèses soient antisémites, mais ils aiment bien compter les juifs dans une foule. La litanie des noms évoqués rappelle parfois la même litanie égrenée alors dans les rangs maccarthystes à l’époque des cinéastes d’Hollywood.

Bien entendu, le dernier ouvrage de Frachon et Vernet ne fait pas partie de ce genre de littérature conspirationniste (1). On y décrit l’itinéraire intellectuel et politique des néoconservateurs avec nuance, et parfois sympathie ; on y rappelle que les origines new-yorkaises du groupe en font en réalité un joint-venture judéo-irlandais — on pourrait ajouter : italien, comme l’a bien longtemps été toute la politique de la Big Apple. Bref, cet ouvrage salutaire démystifie le mythe néoconservateur et ne se prête, si on le lit avec l’attention requise, à aucun manichéisme (on regrettera tout de même que les auteurs ne soulignent pas l’antisémitisme virulent du principal contradicteur archéoconservateur des «néos», Pat Buchanan).

Néanmoins, la thèse demeure selon laquelle les idées néoconservatrices auraient engendré l’invasion de l’Irak et toutes les difficultés actuelles de la politique des Etats-Unis. Mon sentiment est qu’il n’en est rien. Tout comme Roosevelt n’était pas spécialement keynésien dans les années trente, George W. Bush n’est pas spécifiquement néoconservateur. Mais, comme dans les années trente, l’Amérique change aujourd’hui de peau et a besoin d’un corpus idéologique, fût-il provisoire, pour habiller au jour le jour les mesures que la situation lui impose.

Les néoconservateurs sont tous des intellectuels dotés d’une grande capacité de synthèses cohérentes, sinon convaincantes : ils ont donc occupé le devant de la scène pour justifier a posteriori des décisions qu’ils n’ont pas prises mais seulement accompagnées. Etant donné que la grande majorité des intellectuels sont aux Etats-Unis, comme en Europe, à gauche, et qu’ils occupent encore largement le terrain médiatique, on comprend parfaitement que des intellectuels, qui ne furent pas moins à gauche à l’origine, aient mobilisé toutes leurs ressources rhétoriques pour faire avancer une cause dont les motivations étaient sensiblement différentes. Une fois n’est pas coutume, l’explication par les néoconservateurs frappe par son idéalisme antimarxiste. Ce serait donc bien les idées qui mèneraient le monde, et non de puissantes forces matérielles.

Au risque de retomber dans des simplifications quasi marxistes, je suggérerais plutôt aux historiens de cette période de considérer la grande asymétrie suivante, qui requiert d’urgence une explication véritable : il existe depuis les années trente un lobby énergétique à base pétrolière dont le point névralgique se situe aujourd’hui au Texas, et qui inspire souvent la politique américaine, notamment en Amérique latine et au Moyen-Orient. Ce lobby a longtemps été le meilleur défenseur à Washington de l’Arabie saoudite en particulier, mais aussi, par elle, du monde arabe en général. Sa main est clairement lisible dans la volonté farouche d’Eisenhower de préserver Nasser des entreprises franco-anglo-israéliennes et, plus tard encore, de Lindon Johnson de tenir soigneusement ses distances d’avec l’Etat d’Israël pendant la crise de 1967.

Pour finir, on retrouve la même structure décisionnelle dans la politique éminemment pétrolière du premier président Bush et de son secrétaire d’Etat James Baker lorsqu’ils imposent à Israël des concessions substantielles au monde arabe au lendemain de la guerre du Koweït. Les adversaires du président sortant soulignant, à juste titre, l’appartenance de George W. Bush, de son vice-président Dick Cheney, et même de sa conseillère de sécurité Condoleezza Rice, au lobby énergétique autrefois prosaoudien, il est très difficile d’expliquer comment, dans ces conditions, des décisions si contraires à la volonté manifeste de tous les courants représentés à Riyad parmi les divers frères et demi-frères de la famille Saoud, ont pu être prises.

La vérité toute simple, c’est que, précisément, ces hommes, qui n’ignorent rien de la gravité de l’évolution du monde saoudien, ont compris bien avant tout le monde que l’Amérique ne pourrait pas éternellement se dérober à une confrontation avec celui-ci. Et que les experts en prolifération aient attendu cette occasion pour adresser en clair — par l’intermédiaire d’un adversaire plus faible et plus isolé, l’Irak — un avertissement solennel au Pakistan qui est le noeud de toutes les opérations d’al-Qaida, tout cela ne fait pas partie de la nébuleuse idéologique des néoconservateurs.

Le grand dessein des Etats-Unis au Moyen-Orient est d’abord et avant tout réactif. Il s’agit d’éviter, avant qu’il ne soit trop tard, la conjonction d’une bombe atomique pakistanaise, qui devient peu à peu saoudienne, et la montée en puissance dans le royaume wahhabite d’une politique très agressive en matière pétrolière et en matière religieuse. Comme dans le théâtre olympique de Vérone, on s’apercevra que les dissertations sympathiques de Richard Perle, les discours ampoulés de Saddam Hussein déclinant et les proclamations hystériques d’Oussama Ben Laden via al-Jezira, ne sont que des trompe-l’oeil d’une scène plus profonde où les acteurs sont beaucoup plus considérables.


(1) L’Amérique messianique; les guerres des néoconservateurs, par Alain Franchon et Daniel Vernet, Seuil, 224 p. , 18 euros.

Ceuta i Melilla, la frontera

Katia Clarens: Tensions aux frontières de l’Europe
Le Figaro Magazine, 25/09/2004.

Conquises en 1497, Ceuta et Melilla sont deux enclaves espagnoles situées dans le nord du Maroc. Portes de l’Europe en Afrique, menacées par une flambée de l’intégrisme, elles sont quasi incontrôlables. Reportage.


Trafic de drogue, immigration clandestine, corruption... Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles situées dans le nord du Maroc, avaient déjà mauvaise réputation. Depuis les attentats du 11 mars 2004, la liste des griefs s’est allongée. Selon une information du ministère de l’Intérieur reprise dans le quotidien El Pais , elles seraient «les deux points les plus “chauds” et à la fois les plus faibles de la prévention et de la lutte contre le terrorisme d’al-Qaida». Bases arrière de la violence islamiste donc... Un revirement radical dans des villes qui, peuplées à plus de 30% de musulmans, étaient un exemple de cohabitation pacifique entre les différentes communautés. Pourtant, tout semble calme.

Dans les rues du centre de Ceuta, c’est encore l’été. Une femme en djellaba et foulard orange longe la rue principale. Elle discute avec une amie, peut-être sa soeur, qui est, elle, habillée à la mode espagnole. Aux terrasses des cafés, on boit du thé à la menthe ou de la bière.

«Dans le centre tout va bien. Pour trouver du grabuge, c’est au Principe qu’il faut aller», souffle un habitant.

El Principe (prince en espagnol), c’est la banlieue chaude de Ceuta. Peuplée à presque 100% de musulmans, elle regroupe deux quartiers — Principe Alfonso et Principe Felipe — et ne se trouve qu’à quelques mètres de la frontière hispano-marocaine. Pas une journée sans que les gazettes locales n’y révèlent un incident. Aujourd’hui, on a tiré sur une voiture de police qui roulait près de l’entrée de la cité. «Il y a eu un problème, lance Abdeljadek, la quarantaine, en arrivant, essoufflé, au café qui donne sur la plazoletta, la place centrale de Principe Alfonso, quelques minutes après les faits. Il parle un espagnol parfait. «Des gosses ont tiré sur la police. Des voyous. Comme si on n’avait pas assez de problèmes comme ça.»

Autour de lui, ses amis secouent la tête, dépités. «On va encore dire qu’on est pire que tout et cela donnera une bonne excuse au gouvernement et à la ville pour ne pas s’occuper de nous —grogne en retour Mustafa, 48 ans—. Abandonnés, voilà ce qu’on est ici depuis que les chrétiens ont été relogés ailleurs.»

Chômage, illettrisme, échec scolaire... Ce quartier de 12 000 à 15 000 habitants connaît effectivement des problèmes socio-économiques importants. Les jeunes — et les moins jeunes — hantent les cafés en fumant du haschich et se demandent ce qu’ils pourraient bien faire d’autre pour calmer leurs nerfs. Il y a aussi un évident problème d’infrastructures. Les ruelles sales et pentues se succèdent, bordées de constructions anarchiques dans lesquelles on s’empile. Des paysages urbains plus proches du tiers-monde que de l’Espagne.

À la mairie, Elena Sanchez, conseillère en matière de travaux publics, essaye de se défendre en argumentant sur les 150 habitations en construction et sur le «développement absurde de ce quartier». Avant d’avouer tout de même «un oubli historique auquel on tente de remédier».

Judicieuse idée si l’on considère la misère comme terreau de tous les fondamentalismes. Hamed Abderraman a 30 ans. Au Principe, il est célèbre : c’est lui l’Espagnol qui était à Guantanamo. Libéré par le juge Garzon en juillet, il est revenu vivre ici. Sur la plage, à l’écart des curieux, il raconte son parcours d’islamiste : «Je me souviens qu’avant de partir, j’avais ici l’impression de vivre dans une prison. À cause du chômage et de tout le reste. À cette époque, j’entendais à la télé toutes ces choses sur les talibans, cela m’a donné envie de savoir comment ils étaient en réalité. J’avais un ami d’ici qui se trouvait déjà dans une madrasa en Afghanistan. Je suis parti le rejoindre. Pas pour me battre, je n’ai jamais participé aux combats, plutôt pour me purifier l’âme. Les talibans, j’ai trouvé que c’étaient des gens bien. Je ne les ai pas trouvés durs. Les théocraties, je trouve ça normal. Dans l’islam il y a des lois. Le problème, c’est que la loi islamique n’est appliquée nulle part. C’est dommage. J’espère retourner étudier bientôt. Pas forcément en Afghanistan. Cela pourrait être en Arabie saoudite ou au Yémen, en Iran ou en Syrie. Je ne sais pas encore...» Fondamentaliste également, Abdulkarim vit à La Cañada de Hidum, une banlieue de Melilla. Il aimerait aussi que la charia soit appliquée mais pour lui aucun doute : «Cela finira par arriver, car c’est inscrit dans le Livre.»

Le trafic de drogue, plus lucratif que le djihad

Le thème du 11 Septembre, il le balaie d’un revers de la main : «Une manigance mise en place par les gouvernements occidentaux.» Car, selon lui, «al-Qaida n’existe pas et a été inventé pour compromettre les musulmans».

Sur les murs à l’entrée de son quartier, on a tagué des drapeaux palestiniens accompagnés de messages de soutien. Un drapeau irakien aussi, témoignages d’une colère grandissante. Effrayant ? «Il n’y a rien de très grave ici, explique un agent du service d’information de la Guardia Civil. Il n’y a pas de groupes organisés ou de cellules d’al-Qaida, comme certains journaux ont essayé de le faire croire.»

Des idées dures mais pas de violence. D’autant qu’une majorité des musulmans résidant dans les enclaves pratiquent un islam modéré. Et puis ici, il n’est pas difficile pour un jeune chômeur de trouver une alternative au djihad. Ali, la vingtaine, en témoigne. Assis dans un café du Principe, il boit du thé à la menthe et fume une pipe de kif.

«Le djihad ? Vous voulez rire, lance-t-il. Je préfère faire passer un caoutchouc, ça rapporte plus !»

Faire passer un caoutchouc, cela signifie remplir un Zodiac de haschich et lui faire traverser le détroit de Gibraltar. Car s’il est bien une réalité dans les enclaves espagnoles, c’est celle du trafic de drogue. Ainsi n’est-il pas rare de trouver, y compris dans les banlieues les plus pauvres, quelques villas sublimes, qui s’élèvent parfois sur plusieurs étages : «Celle-ci, par exemple, chuchote un habitant du Principe, elle a toujours les volets fermés mais on dit qu’à l’intérieur il y a deux Jacuzzi et un ascenseur.»

On trouve aussi des voitures dépassant parfois les 100 000 euros, et les maîtresses d’école racontent que certains enfants veulent devenir «trafiquant comme papa» !

Mohammed, 25 ans, vit à Ceuta. Il est trafiquant de drogue.

«Comme beaucoup de monde ici ! affirme-t-il : le boulanger, le boucher, le gérant de la boîte de nuit... Ces affaires sont des moyens de blanchir l’argent. Les plus gros deals se font du Maroc vers la péninsule. La marchandise est acheminée dans des Zodiac qui ont deux moteurs de 250 chevaux. Des bolides. Sur le bateau, il y a jusqu’à 2 000 kilos de haschich et quatre personnes : celui qui conduit, celui qui a le GPS et deux jeteurs chargés d’envoyer la marchandise à la mer en cas d’intervention de la Guardia Civil. Il arrive que l’un d’eux soit payé pour dire que la marchandise lui appartient, on verse ensuite de l’argent à sa famille. Les salaires par traversée sont de 40 000 euros pour le capitaine, 20 000 pour le GPS et 6 000 pour les deux autres. C’est de l’argent rapide. Pas de l’argent facile, parce que les gens risquent leur vie ou tout du moins leur liberté.»

Lui a déjà fait de la prison mais ne regrette rien. «Aujourd’hui, ma vie est faite — lâche-t-il dans un sourire, avant d’ajouter—, maintenant, je m’amuse à acheter des maisons...»

Et des mosquées ? «Non, moi non, mais certains “narcos” le font pour s’attirer le respect de la communauté.»

À Ceuta, on compte d’ailleurs 30 mosquées pour les quelque 25 000 habitants musulmans. C’est beaucoup. Et le problème pourrait venir du manque de contrôle des prêches effectués par des imams venus du Maroc. Peut-on en déduire que le trafic de drogue finance le djihad comme l’annoncent — sans plus d’explications — certains grands quotidiens espagnols ? «Cette rumeur vient sans doute de la déclaration du juge Garzon selon laquelle les explosifs qui ont été utilisés le 11 mars ont été payés avec du haschich, explique Alain Labrousse, ancien président de l’Observatoire géopolitique des drogues. Or ces gens-là l’avaient probablement acheté. Les terroristes, contrairement aux guérillas, sont mal placés pour tirer de l’argent de la drogue, car ils sont “déterritorialisés”. Tout au plus peuvent-ils servir d’intermédiaires entre le producteur et l’acheteur. Et encore... L’argent du djihad vient essentiellement de la charité islamiste et du pétrole. Dire que le trafic de drogue finance le djihad, c’est faire un amalgame.»

Les échelles gisent au pied des barrières frontalières

Peut-être un souci de moins pour les forces de l’ordre des enclaves, qui ont déjà bien assez à faire avec les malversations en tout genre et l’immigration clandestine. Car on se presse aux portes de l’Europe. Chaque jour, des centaines de personnes, marocaines, algériennes et sub-sahariennes tentent de déjouer l’attention des gardes-frontières. Depuis le mont Gourougou, au Maroc, ils regardent la barrière de trois mètres de haut coiffée de barbelés. De l’autre côté, il y a Melilla. Ils ont fabriqué des échelles qui leur permettront, le moment venu, de faire le grand saut. Aux abords de la frontière, côté espagnol, elles gisent, par dizaines, sur le sol. Ceux qui ont réussi le passage les ont laissées là avant de s’enfuir. Pour rejoindre, pensent-ils, l’eldorado européen.

Christian, un Camerounais, est de ceux-là. Attablé devant un jus d’orange dans une rue de Melilla, il raconte : «Sur le mont Gourougou, nous n’avions rien à manger. Parfois, on était tabassé par la police marocaine. Là-bas, il y a des fosses où l’on jette les gens, qui meurent de maladie, de faim ou d’une blessure.»

Depuis son arrivée en terre espagnole, il y a dix-huit mois, Christian est logé au centre de séjour temporaire pour immigrants clandestins (Ceti) autour duquel les cabanes de carton se font chaque jour plus nombreuses. Il avoue qu’il vivait mieux au Cameroun. Serveur dans un bar et joueur dans l’équipe de football de sa ville, il faisait partie de la classe moyenne. Ici il n’a rien. «Je suis venu parce qu’un ami qui jouait au foot avec moi, et qui est entré par Melilla, est aujourd’hui licencié d’une équipe espagnole.»

C’est donc avec des chaussures à crampons au fond du sac que Christian a traversé le continent noir. En camion, à pied et en bus... Pendant sept mois. Avec ses économies, il a payé les passeurs. A présent, la déprime le gagne chaque jour un peu plus. Mais demain matin, comme tous les matins, il courra pendant une heure puis s’entraînera, seul, avec un ballon. Au cas où...

Tuesday, September 28, 2004

Vila-Abadal.— Europa i Groucho Marx

Ramon Vila-Abadal: Europa i Groucho Marx
El Punt, 28/09/2004.

Aviat es posarà a votació, en forma de referèndum, dels ciutadans espanyols el text juridicopolític mal anomenat «Constitució europea». No es tracta de cap constitució, sinó d’un tractat entre estats. Val la pena de remarcar-ho perquè pot ser un element que ajudi a entendre com és que el tractat ha sortit de la manera com ho ha fet. En aquest [tractat] es reconeixen dues menes de subjectes de dret en la UE: els individus anomenats ciutadans i els estats nacionals. En canvi, no es reconeixen com a subjectes de drets les nacions o els pobles sense estat. Ni hi ha cap reconeixement polític de la cultura, llengua, idiosincràsia... d’aquests pobles, que els permeti fer-se sentir en els fòrums de la UE.

Aquesta mena d’ordenament d’Europa ens afecta de ple. I per això resulta una raó de molt pes perquè molts catalans, exercint el dret que tenim com a europeus, encara que sigui a través de l’Estat espanyol, diguem no a aquesta ordenació que se’ns proposa.

Votant lliurement allò que creiem millor per a Europa és com exercim la nostra pertinença a Europa, i no ens n’allunyem, ja que intervenim en la seva configuració. I dient no no sols defensem el dret de Catalunya a ser reconeguda com a nació, i per tant subjecte del dret a l’autodeterminació. També refusem que se’ns negui qualsevol mena de participació política. També defensem els drets d’altres col·lectius que es troben en situació política, cultural... semblans a la nostra. I defensant aquests drets per a les nacions sense estat, postulem que Europa no tingui una falla de democràcia tan gran com la ignorància dels drets dels col·lectius nacionals que no tenen estat propi. És fàcil d’entendre que un pacte entre estats obviï el reconeixement dels drets de les nacions sense estat propi.

En general, en els pactes, les diverses parts paguen algun preu per obtenir de les altres un benefici que creuen que millora la seva situació. En el cas de Constitució europea, els estats cedeixen part de les seves facultats a una instància comuna que decidirà per tots. Creuen que val la pena de pagar el preu de la disminució de certes facultats perquè les decisions compartides entre tots els afavorirà més del que ho feia la facultat cedida. Si el pacte entre estats reconegués uns altres subjectes de dret en la UE que fins ara eren col·lectius els drets dels quals eren un mer afer intern de cada estat, també perdrien facultats per aquest cantó, i per tant encara s’aprimarien més. I a més es crearien possibles competidors o discrepants pel que fa als afers de la Unió.

Hi ha molts catalans que veuen aquestes i altres raons per votar no en el referèndum. Però tenen un recel a votar no perquè votarien igual que el senyor Le Pen i els altres que pensen com ell. Em sembla que aquesta és una manera molt infantil de veure la política, i que és massa freqüent. No decideixen en funció d’allò que es vota, sinó mirant si els que voten una cosa o altra són més macos o més lletjos. I ells no volen votar amb els lletjos.

També n’hi ha que objecten que Europa no entendria que els catalans, que sempre hem mirat cap a Europa, ara diguem no a una Constitució europea. Precisament si fos així, hi hauria una raó de més per votar no a allò que se’ns proposa. Parodiant l’acudit de Groucho Marx: «Jo no em faria mai d’un club on acceptessin gent com jo», podríem dir que no volem ser d’aquells que no són capaços de comprendre les raons del nostre no.

Thursday, September 23, 2004

Presos islàmics i d’EtA fan amistat

Presos etarras e islamistas festejaron juntos la masacre la mañana del 11-M

Ana del Barrio, El Mundo, 23/09/04.

Los presos islamistas de la cárcel de A Lama (Pontevedra) festejaron con reclusos etarras los atentados del 11-M. Esa misma mañana, uno de los internos que ejerce de emir en el centro penitenciario, invitó a café y té al resto de los internos del módulo V, entre los que se encontraban dos presos de la banda terrorista ETA, según denunciaron a EL MUNDO los funcionarios de la prisión.

Entre los reclusos de la banda terrorista ETA en A Lama, se encuentran Javier Ugarte Villar, condenado a 32 años de cárcel por el secuestro de Ortega Lara y Luis Mariñelarena Garciandía, sentenciado a 100 años de prisión por el asesinato del dirigente socialista Fernando Buesa.

El fatídico 11 de Marzo, los dos reclusos etarras estuvieron hablando toda la jornada con el preso integrista que actúa de emir —líder espiritual— y otros miembros islamistas. A los dos días, este imam fue sancionado y se le limitó su régimen de vida en la prisión. Sin embargo, tras el castigo por haber celebrado la masacre terrorista, el jefe musulmán regresó al mismo módulo.

Los funcionarios de la cárcel de A Lama denunciaron ayer a El Mundo la buena sintonía existente entre los 11 reclusos de ETA, los dos del GIA argelino y uno del 11-M, que, en la actualidad, están encarcelados en el centro de Pontevedra. «Hay una comunicación constante entre estos presos, aunque se aplica la política de dispersión. Pasean y charlan por el patio, se entienden y se respetan. Los islamistas, que no se suelen relacionar con nadie, se dan golpes en el pecho y hacen señales de saludo y respeto a los etarras», declaró Juan Figueroa, vicepresidente del sindicato ACAIP, que agrupa a los Cuerpos de la Administración de Instituciones Penitenciarias.

Además de los presos etarras, en A Lama están internados Osama Darra, detenido por su relación con los atentados del 11-M, y Sohbi Khouni, arrestado en el 97 por su vinculación con la organización terrorista argelina GIA junto a Allekema Lamari, presunto séptimo suicida de Leganés, y Abdelkrim Benesmail, que coincidió en la cárcel de Villabona con Antonio Toro Castro.

En la misma prisión también ha estado radicado uno de los más sanguinarios miembros de la banda terrorista ETA, Rafael Caride Simón, condenado a 790 años de cárcel por el atentado de Hipercor, y a otros 142 por un atentado con coche-bomba en el puerto de Barcelona, entre otros delitos.

A los funcionarios de A Lama les ha llamado la atención la relación demasiado cordial entre los reclusos islamistas y los etarras, ya que no se suelen relacionar con el resto de internos. «Se comunican y son afines. Tienen la misma ideología. El etarra no se comunica con los presos comunes», aseguró Rafael Moral, delegado de la Confederación Intersindical Gallega (CIGA) en A Lama.

En el presidio, existe un interno que ejerce las labores de imam mayor y otros dos presos que ocupan el cargo de coroneles, según su propia denominación. El núcleo duro está formado por otros 10 integristas que también actúan de imames y que tienen bajo su órbita a otros 120 internos musulmanes.

El festejo de los atentados del 11-M no ha sido el único incidente registrado en prisión. Cuando el 3 de abril se inmolaron los siete terroristas de Leganés, los reclusos integristas intentaron hacer un acto de apoyo a los suicidas y reivindicar, de paso, la salida del aislamiento del imam mayor.

Los funcionarios de A Lama lograron abortar esta acción y también tuvieron que sofocar un enfrentamiento entre los presos árabes y los españoles. Según el relato de un trabajador del centro gallego —que no quiso desvelar su identidad—, los internos musulmanes advirtieron a los españoles de que el suceso de Leganés no quedaría impune y amenazaron con que se iban a producir más atentados.

La tensión estaba a flor de piel y los funcionarios se tuvieron que emplear a fondo para separarlos y evitar la pelea. Es más, los trabajadores recibieron un chivatazo de los reclusos españoles de que los islamistas estaban planeando secuestrar a uno de los empleados de la prisión para exigir el fin del aislamiento del imam.

El sindicato ACAIP denuncia que este tipo de presos está perfectamente organizado y tiene una estructura jerárquica y militar: «Ellos consideran que están en guerra santa y dicen que por qué nos quejamos de 190 muertos cuando en Palestina ha habido muchos más. Su visión es lo que pasa en Irak o en Palestina. Esta situación se nos va de las manos», afirmó Figueroa.

Como muestra de esta organización, los integristas realizan entrenamiento militar en el patio haciendo simulaciones con escobas (a modo de fusil), tirándose al suelo y reptando. Los funcionarios del centro les prohibieron terminantemente este tipo de comportamientos.

Este núcleo duro coacciona al resto de reclusos y llega a imponer castigos físicos —como golpes en las plantas de los pies— a quienes no siguen al pie de la letra los dictados del Corán. Así, muchos internos marroquíes condenados por delitos menores acaban radicalizando en prisión sus ideas religiosas.

«A los líderes musulmanes les ingresan dinero y así ejercen su poder sobre el resto, que no tiene recursos. Les dan un préstamo de 10 euros y, la semana siguiente, les tienen que devolver el doble. Tienen un ejército de gente analfabeta y sin arraigo familiar», añadió Figueroa.

El sindicato ACAIP destaca el gran aumento de la población extranjera en A Lama, que ha pasado de 72 foráneos en 2002 a los 611 de la actualidad —unos 400 musulmanes—, sobre un total de 1.571.

Tuesday, September 21, 2004

Pàtria, fe i Bellvitge

Pujol rep un homenatge al cim del Tagamanent 60 anys després que es proposés allà mateix dedicar-se a la “reconstrucció nacional” de Catalunya

Toni Sust, El Periódico, 20/09/2004.

Han passat sis dècades i l’anècdota no és nova. Fa més de 20 anys, Jordi Pujol va explicar al pròleg d’un llibre que sent un nen havia pujat al cim del Tagamanent i havia observat els efectes de la destrucció causada per la guerra civil, que acabava de finalitzar. Contemplant les ruïnes, Pujol es va prometre dedicar-se a reconstruir Catalunya.

Seixanta anys després, ahir Pujol va pujar al Tagamanent envoltat d’entusiastes que el van acompanyar per homenatjar-lo, en una jornada que va prosseguir a Taradell, on més de 1.500 persones van assitir a un dinar en honor de l’expresident.

Al marge de les mesquites

L’homenatge va començar amb una missa a l’església de Santa Maria de Tagamanent, oficiada pel sacerdot Antoni Pladevall, que a més va parlar davant els congregats a la muntanya, més de 300, fent gala d’un estil contundent.

Va advertir que al marge que en el futur Catalunya es vegi poblada de mesquites, el país té uns orígens concrets: “Pàtria i fe, les arrels de Catalunya són aquestes”.

Pladevall va renyar les noves generacions: “Als joves els falta amor al país perquè no l’han trepitjat. Ens hem tornat còmodes. Catalunya es perd per la comoditat de molta gent” .

I no es va refrenar. Va animar a deixar-se de “bipartits, tripartits i 50 partits”, i els va distingir: “Els que som aquí sí que estimem Catalunya”.

Com a colofó, el capellà va proclamar: “Visca la nostra religió; sense el cristianisme no s’explica el nostre país”.

No era fàcil mantenir el llistó després d’una diatriba tan grossa. Pujol va recordar la seva visita, de nen, a la muntanya, i va reprendre el fil de Pladevall: “El patriotisme és la primera condició per sacrificar-se per un país”.

Però l’expresident va reconduir el discurs del sacerdot, que va titllar de “rotund”. I per parlar de la tasca patriòtica, se’n va anar a Bellvitge, a l’Hospitalet.

Un referent

“Fa 15 dies em van dir: ‘Ha mort Jesús Carrasco’”, va explicar Pujol. Carrasco, va relatar, va ser un dels habitants de les Vivendes del Governador, al barri de Verdum, i amb això també es va referir a altres zones de Barcelona on han crescut moltes persones d’origen immigrant, com Bellvitge: “En l’obra de reconstrucció de Catalunya també hi ha participat gent de Bellvitge”. El missatge va atenuar el de Pladevall.

A l’hora de dinar, més de 1.500 persones van fer cua per acompanyar l’expresident. La cua era per entrar al centre cultural Can Costa i Coll de Taradell, que no havia registrat mai un ple semblant. Pujol va ser obsequiat amb un pastís, que va ser entrat a la sala amb música de fons de casament i que va tallar amb espasa.

Va parlar Artur Mas, que va subratllar que l’homenatge també havia d’incloure Marta Ferrusola i va considerar que Pujol ha donat “crèdit” a la política. “El millor homenatge és seguir fent camí”, va assenyalar.

L’homenatjat va tenir agraïments per a tots, començant per la seva dona, i va acabar advertint que la “reconstrucció nacional” està per completar.

Monday, September 20, 2004

Los pakistaníes detenidos grabaron en vídeo rascacielos de Barcelona en el 2002

Los Mossos dan por desmantelado el grupo, en prisión desde el sábado.

El grupo de pakistaníes detenidos el pasado miércoles en Barcelona grabó en vídeo dos rascacielos de la ciudad en las primeras semanas del 2002, aunque no pasó de ser una simple recogida de información. La grabación dura cerca de una hora y contiene detalles de la estructura y entradas y salidas de los edificios.

    Los Mossos se incautaron de una pequeña cantidad de heroína de gran pureza, que habría alcanzado un alto valor en el mercado.

    La grabación, de cerca de una hora de duración, contiene detalles de la estructura de las dos torres de la Vila Olímpica.

    Casi una semana después de la operación no se sabe con certeza la identidad de los diez detenidos, que investiga la Interpol.

    El juez de la Audiencia Nacional ordenó prisión incondicional para los 10 arrestados por falsificación y tenencia de drogas.


La Vanguardia
IGNACIO DE OROVIO - 20/09/2004
Madrid

Los pakistaníes detenidos la madrugada del pasado miércoles en Barcelona tenían en su poder una grabación en vídeo de cerca de una hora de duración y gran nivel de detalle de las torres de la Vila Olímpica de Barcelona. La grabación fue realizada en las primeras semanas del año 2002 y podría haber constituido una simple información de base, sin trabajo posterior, para haber perpetrado un atentado, según una fuente del caso de la máxima solvencia, aunque estos detalles serán confirmados por la instrucción judicial, que corre a cargo del juez de la Audiencia Nacional Ismael Moreno. Este magistrado decretó en la madrugada del pasado sábado prisión incondicional para los diez arrestados. El grupo se da prácticamente por desmantelado, a falta de pulir algunos flecos de la investigación.

La grabación del hotel Arts y de la torre Mapfre, que alberga oficinas, que ha conocido La Vanguardia, dura prácticamente una hora y contiene numerosos detalles de las estructuras arquitectónicas y de las entradas y salidas de ambos edificios. Se cree que la filmación, que viene a ser un estudio videográfico de los edificios, está inspirada en el atentado del 11-S contra las Torres Gemelas de Nueva York, ya que fue realizada alrededor de tres meses después de aquel atentado. En este caso se cree que se trató de una mera recogida de datos.

En el registro no apareció ninguna prueba o indicio de que el grupo, o alguno de sus miembros, pretendiese atentar contra estos emblemáticos edificios del litoral de Barcelona, aunque los Mossos d'Esquadra analizan bajo la tutela del juez Ismael Moreno decenas de textos y documentos hallados en los dos pisos. Las traducciones y su interpretación policial tardarán probablemente varias semanas en llegar a la Audiencia Nacional. Sin embargo, alguno de los miembros del grupo desarticulado pudo haber filmado otros edificios o zonas de Barcelona, según la misma fuente, ya que hay indicios o señales de que hubo más grabaciones, que en cualquier caso no aparecieron en los registros de los Mossos.

En los pisos de los barrios de Ciutat Vella y la Trinitat registrados no se hallaron explosivos ni armas, según informaron los Mossos d'Esquadra, que llevaron la operación desde el primer momento porque deriva de otra anterior contra la delincuencia común en la que se desmanteló una red de falsificación de documentos y tarjetas de crédito y de blanqueo de capitales.

El juez de la Audiencia Nacional —que interrogó a los diez pakistaníes entre las ocho de la tarde del viernes y las cinco de la madrugada del sábado— decretó el ingreso en prisión incondicional por la suma de indicios que los Mossos d'Esquadra presentaron, aunque el nivel de implicación de cada uno de los detenidos, cuyas identidades no han trascendido por ahora, deberá perfilarse con mayor nitidez en el curso de la investigación.

Además de la grabación en vídeo, se sabe ya que uno de los detenidos estuvo en el pasado enrolado en un grupo radical de Pakistán y que el grupo manejaba grandes cantidades de dinero, aunque su nivel de vida era muy sencillo, rayando, al menos en apariencia, en la miseria. Este detalle ha sorprendido en la investigación, que ahora tratará de averiguar hacia dónde se derivaron los fondos obtenidos. Hacia el lujo o los coches, como en la mayoría de los grupos de narcos, seguro que no.

En el registro apareció una cantidad no demasiado grande de heroína de gran pureza, pero el recipiente que la contenía y los restos hallados indican que la cantidad era superior. La pureza de la droga señala que los detenidos manejaban grandes cantidades de dinero. El valor de la droga en el mercado habría sido elevadísimo.

Al menos uno de los diez detenidos estuvo a inicios de los años noventa enrolado en un grupo islamista radical en Pakistán, declarado ilegal en aquel país. El nombre de este grupo no ha trascendido.

La suma de datos que los Mossos llevaron ante el juez permite pensar que los detenidos —a falta de concretar el presunto nivel de implicación de cada uno— pudieron tener relaciones con alguna célula radical, aunque el juez Ismael Moreno les imputa por el momento falsificación y tráfico de droga. De ser ésta la única implicación del grupo, el asunto pasaría a un juzgado ordinario de instrucción, a menos que se sospechase que el tráfico fuese a gran escala o que entre las actividades estuviese el blanqueo de capital.

Entre los flecos pendientes de investigación está conocer el destino de las grandes cantidades de euros que pudo reportarles su actividad delictiva y si ello ha servido para financiar o colaborar con actividades terroristas, investigación que también correspondería a la Audiencia Nacional.

Casi una semana después de la operación desarrollada por los Mossos d'Esquadra en los pisos de la calle Roig de Ciutat Vella y de la avenida Meridiana de Barcelona, y pese a las pesquisas iniciadas por la Audiencia Nacional y por la Interpol, no se conoce con certeza la identidad de todos los arrestados. Se han enviado señas genéticas y huellas dactilares de algunos de ellos a dicho organismo policial internacional, que trabaja para identificar con certeza al grupo, aunque por ahora no se ha recibido respuesta. Alguno de los arrestados tenía hasta cuatro pasaportes o documentos de identidad de gran perfección técnica. En sus declaraciones judiciales explicaron que los pasaportes requisados pertenecen a compatriotas que los habían visitado en los domicilios.

La investigación determinará la procedencia de estos documentos, aunque se sospecha que alguno de ellos podría ser el encargado de falsificaciones. También podrían proceder del grupo que originó la operación de los Mossos; a inicios de septiembre fue desmantelada una red de delincuencia común que se dedicaba a falsificar tarjetas de crédito, documentos de identidad y al blanqueo de dinero. Hubo 33 detenciones. La investigación de este grupo condujo a los diez pakistaníes.

Friday, September 17, 2004

Glucksmann.— La route de l’apocalypse passe par Beslan

André Glucksmann: La route de l’apocalypse passe par Beslan.
Le Monde, 15/09/2004.

Ceux qui vivent la fin du monde ne la voient pas, ceux qui la voient ne la vivent pas encore, mais sont condamnés à méditer, fût-ce contre eux-mêmes, au bord du gouffre. Un petit garçon coiffé d’une casquette trop grande pour lui, étoile jaune sur la poitrine, sort les mains en l’air d’un trou dans le ghetto de Varsovie ; une fillette vietnamienne en flammes fuit le napalm qui la cerne ; des virgules lointaines mais trop humaines se jettent des tours de Manhattan. Aujourd’hui, des gosses ensanglantés et hagards, en petite culotte, s’échappent entre deux feux du gymnase de Beslan. Autant de témoins de l’abîme qui vont me poursuivre jusqu’à la tombe. J’ai, depuis dix ans, prévu le pire désastre si la très sale guerre de Tchétchénie devait se poursuivre. Je suis inconsolable des enfants morts de Beslan, effrayé, désarmé, comme tous, en découvrant dans le regard exorbité d’un otage que l’impossible est possible.

Il ne faut pas fuir ces images. Elles sont prophétiques. Le dispositif apocalyptique qui s’enclenche sous nos yeux le 3 septembre est porteur d’avenir. Un avenir abominable. Comme une fusée maléfique à trois étages pointée non seulement sur le Caucase et la Russie, mais sur l’Europe entière.

1.— Beslan est la plus folle prise d’otages de l’histoire. Par la quantité des victimes, mais plus encore par la qualité d’absolue cruauté qu’elle manifeste. Qui accroche ses bombes en guirlandes au-dessus de centaines d’enfants, qui les menace de mort s’ils pleurent, qui les réduit à boire leur pipi, ne recule devant rien. Et surtout pas devant l’enfer. Aujourd’hui une école kidnappée, demain une centrale nucléaire fracassée ? Pourquoi pas, puisque ces terroristes n’ont souci ni de la mort des autres ni de la leur.

Inutile de spéculer sur leurs motifs célestes ou terrestres, il faut les juger à leurs actes : ces assassins d’enfants sont les pires des assassins, des ennemis de l’humanité, une pègre qui goûte la sensation “vive et délicieusement perverse” que donne le sang versé, dit Varlam Chalamov (vingt ans de goulag). Première figure du chaos.

Qui compose le commando de tueurs ? “Les Tchétchènes”, diffusent les autorités russes avant d’en avoir vu un seul. Deux jours plus tard, Sergueï Ivanov, ministre de la défense de Poutine, conteste : “Pas un seul Tchétchène dans le commando.” Peu crédible. “Dix Arabes”, “un Nègre”, “un Coréen”, des “Géorgiens”, des “Tatars”, des “Kazakhs”, annoncent divers officiels, sans plus de preuves.

Aouchev, ancien président d’Ingouchie, viré par Poutine, seule personne à avoir eu le courage d’entrer dans l’école pour parlementer sans mandat avec les preneurs d’otages masqués, perçoit un groupe multiethnique avec des Ingouches, des Ossètes, des Slaves (Russes ? Ukrainiens ?). Bref, ce commando n’est ni spécialement composé par ni représentatif des Tchétchènes. Immédiatement, absolument condamné par le président indépendantiste Maskhadov, qui demande une enquête internationale. Même le criminel Bassaïev, qui a revendiqué d’autres prises d’otages massives, dément toute participation. Poutine accuse “le terrorisme international”, ne prononce pas le mot “Tchétchénie”, réclame une solidarité mondiale, mais refuse toute aide internationale dans l’enquête. L’offre d’Interpol est rejetée. Saura-t-on un jour ? Rideau de fumée opaque. Poutine se paie même le luxe et le cynisme de vanter, côté pile, l’héroïsme de la Tchétchénie devant un parterre d’experts étrangers : “Pas une parcelle de notre terre ne compte autant de héros.”

Parallèlement, le Kremlin, mettant à prix la tête de Maskhadov, ne perd pas l’occasion, côté face, de stigmatiser une population entière. Et voilà un peuple depuis dix ans massacré transformé en peuple massacreur. Des Tchétchènes entre autres, probablement oui, les Tchétchènes, non !

2.— Face à ce commando nihiliste, que rien ni personne ne saurait excuser, justifier, comprendre, et surtout pas moi, il y a l’autre composante du chaos, Poutine et ses “forces de l’ordre” qui ont “libéré” un gymnase bourré d’enfants à coups de fusils-mitrailleurs et de lance-flammes. Pas besoin d’une décision explicite pour lancer l’assaut, il suffit d’exclure d’emblée toute tentative pour fatiguer, diviser, isoler les preneurs d’otages : “La négociation est un aveu de faiblesse”, dit Poutine.

L’étincelle sera due au hasard. Une bombe qui se décroche ? Des parents désespérés qui partent récupérer leurs mômes à la pointe de leurs tromblons ? Les spetnaz armés jusqu’aux dents s’engouffrent dans la brèche en tirant dans le tas. Pareil mépris du “matériel humain” — aujourd’hui les enfants, hier les spectateurs gazés de la Doubrovka — est une constante brutale héritée des tsars et de Staline. Force doit rester au pouvoir.

Lorsqu’en 1999 Poutine envahit la Tchétchénie, il prétend affronter 2 000 terroristes. Il lance ses bombardiers, ses tanks et 100 000 soldats à l’assaut d’un pays grand comme l’Ile-de-France, peuplé à peine d’un million de personnes. Il rase Grozny (400 000 habitants). Si pareil carnage vaut pour la “lutte antiterroriste”, il faut se demander pourquoi les Anglais n’ont pas rasé Belfast, les Espagnols Bilbao et les Français Alger pour retrouver Ali La Pointe et ses comparses.

La sauvagerie du FSB est à l’œuvre à Beslan comme dans la Tchétchénie entière. “Tchékiste une fois, tchékiste toujours”, tel est le credo du maître actuel du Kremlin. La Tchéka, c’est la Gestapo soviétique, l’ancêtre du KGB, père du FSB.

3.— Nous sommes partie prenante de ce désastre. Pas un gouvernement occidental n’a osé interroger le palmarès d’un pompier pyromane qui, en cinq ans de guerre, n’a pas réussi à “buter les terroristes jusque dans les chiottes” en brûlant les maisons, les villes et les villages, mais parvient à étendre le chaos au Caucase. L’Europe et les Etats-Unis lui laissent carte blanche et se disputent son amitié. Effarante démission de l’intelligence.

Rappelons que la question de l’Irak a vu s’affronter “deux visions du monde”. Paris et le “camp de la paix” affirment que le terrorisme est fils de la guerre qu’il faut à tout prix éviter. Washington et ses alliés proclament que l’oppression est cause du terrorisme, la liberté étant mère de la paix : une guerre en son nom peut s’avérer nécessaire. Nul n’ignore que la population tchétchène a perdu un quart ou un cinquième des siens. Pour qui manque d’imagination, disons que la saignée serait en proportion pour la France de 10 à 15 millions d’habitants. La Tchétchénie subit la pire des guerres actuellement menée sur le globe : 40 000 enfants tués, sans images, dans la nuit et le brouillard. L’arbitraire le plus sanglant gouverne à huis clos ce que la journaliste russe Anna Politkovskaïa appelle “un camp de concentration à ciel ouvert”, soit un pays entier mis en coupe réglée, interdit aux caméras, où seuls pénètrent quelques reporters tellement courageux.

Belle occasion pour nos “deux visions du monde” d’accorder leurs violons et d’honorer les principes dont elles se réclament : le calvaire de la Tchétchénie relève des deux critères. Trois siècles d’oppression ont créé la rébellion. La sauvagerie de la dernière guerre favorise le terrorisme. Il est plus qu’urgent de retenir Poutine par la manche en lui expliquant, côté Paris, que sa guerre, côté Washington, que sa terreur engendrent le chaos nihiliste. Mais non ! Perdus, les grands principes ! La politique de l’autruche triomphe, tête dans le sable, les puissants de ce monde ne voient rien venir.

Ont-ils oublié si vite le scénario afghan ? Pendant dix ans l’armée russe, alors “rouge”, a exercé ses talents destructeurs en Afghanistan : territoire dévasté, peuple décimé, structures sociales, mentales et morales décomposées ; dans le chaos s’installent les plus gangsters, les plus fanatiques, d’où les talibans, d’où Ben Laden, d’où Manhattan en flammes.

L’Occident aveugle avait abandonné le commandant Massoud, opposé aux Soviétiques puis aux intégristes. On s’aperçut de l’erreur trop tard. On en fit une icône... une fois mort. En Tchétchénie, il existe un chef indépendantiste modéré ; Aslan Maskhadov a toujours condamné les attentats contre des civils. Dès la première heure de Beslan, il a proclamé son horreur du crime et proposé ses services ; les autorités russes ont préféré l’assaut à sa médiation. Comme Massoud, c’est un bon stratège, il a vaincu la pléthorique armée russe en 1996. Comme Massoud, c’est un héros pour son peuple. Comme Massoud, ce n’est pas un saint, il a commis l’erreur de pactiser un temps, au nom de l’unité nationale contre l’occupant, avec ses extrémistes. Mais, comme Massoud en Afghanistan, il est en Tchétchénie le seul allié de nos démocraties. C’est avec lui, qui fut élu président (67 %) sous contrôle de l’OSCE, qu’il faut négocier une paix antiterroriste. Il a, depuis deux ans, proposé un plan : cessez-le-feu, désarmement des milices indépendantistes, retrait des forces russes, force d’observation internationale et abandon provisoire de la revendication d’indépendance. Sans son aide, pas d’issue. Sinon, versant russe : le choix de l’extermination. Sinon, versant tchétchène : l’extension du nihilisme.

Comment expliquer l’irresponsabilité de nos responsables ? Les gouvernements démocratiques ne sauraient reprendre à leur compte la criminalisation raciste d’une nation entière : tous les Tchétchènes = assassins d’enfants = Ben Laden. Connaissent-ils leur quotidien de douleur, de deuil, de tortures, l’horreur des fagots humains, des camps de filtration, des disparitions, des chasses à l’homme et du commerce des cadavres ? Oui. Ils savent. Sont-ils assez crédules pour donner quitus à Poutine et gober que la paix et la “normalisation” règnent dans le Caucase ? Ignorent-ils qu’un Tchernobyl délibéré n’épargnerait personne ? Je ne peux croire à tant de bêtise chez les princes qui nous représentent. Force est de supposer qu’ils ont confié le soin de notre sécurité à l’apprenti sorcier du Kremlin. Espèrent-ils, sans peut-être se l’avouer, qu’il exterminera les Tchétchènes avant que des survivants ne pactisent avec le diable nihiliste ? Pareil pari sur une guerre sans fin est d’une immoralité remarquable, mais surtout constitue une aberration politique.

Après tant de massacres et à la lumière noire de Beslan, le bilan guerrier de Poutine parle de lui-même : c’est celui d’un boucher chaotique, d’un fabricant d’apocalypse. Il est temps, puisque Maskhadov vit encore, de rappeler Poutine à l’ordre, de l’inviter hautement et publiquement à changer de méthode.

Depuis dix ans, nos dirigeants méprisent les indignations “morales”. Depuis dix ans, ils s’affirment “real-politiciens” : le monde ne s’arrête pas de tourner pour Grozny, évitons de froisser la géante Russie, laissons aux illuminés leur “moraline” d’impuissants. Excusez-moi, mais sans principe éthique il n’y a pas de politique à long terme. Morale et politique ne se dissocient pas comme le croient les Machiavel de sous-préfecture. La “politique” des Airbus et des hydrocarbures, des courbettes, du “je me fous royalement qu’un peuple soit exterminé” mène à Beslan. Ce n’est pas de la politique, c’est de l’aveuglement.

La “belle âme” dont ils se gaussent et que j’assume pour avoir avec quelques rares amis combattu les fascismes noir, rouge et vert, pour avoir soutenu à l’époque de leur persécution Soljenitsyne, Sakharov, Havel, Massoud, les boat people, les assiégés de Dubrovnik et de Sarajevo, les expulsés du Kosovo, les égorgés d’Algérie, tous ces “sans-pouvoirs” sur lesquels les “réalistes” ne misaient pas un clou, ma très pitoyable “belle âme” vous dit : on ne raye pas impunément un peuple de la carte, fût-il dérisoirement petit au regard de nos grandes nations.

Tuesday, September 14, 2004

Heisbourg.— «Nous renouons avec le tragique»

François Heisbourg : «Nous renouons avec le tragique»
Le Figaro, 13/09/2004.

Propos recueillis par Baudouin Bollaert et Alexis Lacroix

Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et président de l’International Institute of Strategic Studies (IISS), François Heisbourg est un des meilleurs spécialistes européens des questions de défense et du terrorisme. Il a publié aux éditions Odile Jacob Hyperterrorisme: la nouvelle guerre, en collaboration et vient de signer la préface à l’édition française du Rapport final de la commission nationale sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis, 11 septembre, rapport de la commission d’enquête, Editions des Equateurs (500 p., 23 €).


LE FIGARO. — Trois ans après le 11 septembre, quel bilan peut-on tirer de la lutte antiterroriste ?

François HEISBOURG. — Pour parler comme les Américains, il y a les good news et les bad news. Commençons par les bonnes nouvelles : c’est d’abord l’invasion de l’Afghanistan et la chute des talibans. Elles ont privé al-Qaida d’une base organisationnelle stable et importante pour la préparation de ses opérations. Cela a été aussi une formidable source d’archives pour enrichir les dossiers sur un certain nombre d’attentats — des attentats déjoués avant le 11 septembre, comme celui de Strasbourg qui fait toujours l’objet d’une instruction. Des attentats en préparation comme à Singapour, fin 2001. Il aurait pu être un véritable 11 septembre à l’asiatique. Autre bonne nouvelle : le nombre d’arrestations significatives effectuées dont le rapport de la commission américaine d’enquête sur le 11 septembre fait état. Parmi ces arrestations, celle de Khalid Cheikh Mohammed au Pakistan, un membre élevé dans la hiérarchie d’al-Qaida.

Et les mauvaises nouvelles ?

J’en vois de deux ordres : d’une part, al-Qaida sévit toujours et Ben Laden, jusqu’à plus ample informé, n’a toujours pas été arrêté. Dans la liste de la vingtaine de responsables terroristes que les autorités américaines voulaient capturer d’urgence, seul un sur dix a été arrêté. D’autre part, al-Qaida s’est largement redéployé. Al-Qaida continue de frapper, même si ce n’est pas tout à fait à la même échelle que le 11 septembre 2001. Souvenons-nous de Djerba, Bali, Casablanca, etc. Pire que cela : al-Qaida sait travailler dans la complexité comme l’a démontré l’attentat du 11 mars 2004 à Madrid. Un attentat extraordinairement difficile à monter dans un environnement où la surveillance était forte.

Il n’y aurait donc pas vraiment d’hyperpuissance face à l’hyperterrorisme...

Face à l’hyperterrorisme et à sa capacité de destruction de masse, les Etats-Unis ne sont pas une superpuissance, et c’est une grave erreur de lecture que de le croire. La fin de la guerre froide a certes fait des Etats-Unis la seule superpuissance dans le monde, mais ils ne sont pas devenus pour autant plus puissants. Ils sont devenus moins puissants !

Comment cela ?

Pendant la guerre froide, l’existence de la menace soviétique conférait aux Etats-Unis une influence extraordinaire et les érigeait en animateurs d’un réseau d’alliances permanent avec l’Europe, l’Asie et l’Amérique latine. Il y avait bien quelques élèves turbulents, comme les Français, mais la discipline était respectée et librement consentie.

Vous voulez dire qu’avec la disparition de l’ennemi soviétique, les Etats-Unis peinent à réunir des coalitions autour d’eux ?

À travers l’affaire irakienne, les Etats-Unis se sont isolés et ont suscité de l’animosité. Le gros des moyens militaires américain est aujourd’hui dévoré par la campagne d’Irak, qui a coûté à peu près 150 milliards de dollars en l’espace seulement d’un an et demi. Autant de moins pour l’Afghanistan... Il n’est pas difficile de deviner où se situe la priorité pour George W. Bush.

Pendant la guerre froide, les Etats-Unis ont été isolés sur l’affaire vietnamienne...

La comparaison à laquelle vous m’amenez est très intéressante. Dans l’annuaire stratégique de la fondation, nous expliquons que, lors de la guerre du Vietnam, les Américains ont rapidement pris conscience que la guerre qu’ils menaient n’intéressait pas les Britanniques et suscitait la désapprobation des Français. Aucun Etat européen, malgré les demandes américaines, n’a envoyé de soldats au Vietnam. Mais le Vietnam n’a jamais pris le pas, dans l’esprit des Américains, sur l’enjeu fondamental que constituait le conflit Est-Ouest. Les Américains ont donc décidé qu’il était plus important de maintenir l’unité et l’intégrité de l’Otan pour s’opposer à l’Union soviétique que de casser l’Otan dans le vain espoir de glaner quelques soutiens européens.

La guerre en Irak a-t-elle brisé l’unité du monde occidental dans sa guerre contre le terrorisme ?

Non, je dirais qu’elle a brisé l’unité du monde occidental tout court, sans nuire, en revanche, sur un plan technique et logistique, à la coopération entre les services chargés de lutter contre le terrorisme. Mais ce faisant, les Américains ont dispersé leurs ressources. C’est évidemment pour les pays du Moyen-Orient et pour le Sud asiatique musulman que la guerre d’Irak a les effets les plus néfastes. Dans ces pays, il est devenu très difficile aux Américains d’obtenir la mobilisation des gouvernements en faveur des objectifs de la politique américaine. Les sondages d’opinions réalisés en Indonésie, au Bangladesh, sans parler du Pakistan ne sont guère encourageants. Les Etats-Unis, non contents de s’être isolés, ont en plus fabriqué un nouveau champ de bataille pour al-Qaida et pour les djihadistes en général.

Mais, avant la guerre d’Irak, n’est-ce pas le traumatisme du 11 septembre qui avait déjà creusé un premier fossé transatlantique ?

Au lendemain du 11 septembre, les Etats-Unis ont bénéficié d’un large mouvement de sympathie. C’était l’époque où nous étions «tous américains». Bien que j’aie émis personnellement, dès le départ, des doutes sur la solidité de cette convergence euro-américaine, c’est un fait qu’un mouvement de sympathie pour les Etats-Unis a existé entre les deux rives de l’océan Atlantique, mais aussi dans une bonne partie du monde arabo-musulman. Dans le monde arabe, et pas seulement dans des terres d’élection du wahhabisme, l’année 2002 a marqué un premier recul de la sympathie pour les Etats-Unis, suivie en 2003 et en 2004 par la quasi-disparition de tout sentiment positif à l’égard de l’Amérique.

Comment expliquer cette vague d’antiaméricanisme dans le monde arabe ?

Bien sûr, il y a eu la guerre en Irak et l’attitude unilatéraliste — ou perçue comme telle — des Etats-Unis. Mais d’autres aspects ont contribué à dégrader fortement l’image des Etats-Unis. Il ne faut jamais perdre de vue que l’expérience humaine n’est pas transmissible d’un individu à l’autre. Le 11 septembre s’étant déroulé aux Etats-Unis, de nombreux Européens — notamment dans les franges de la classe politique qui n’exerce pas des responsabilités gouvernementales — ont eu tendance à sous-estimer la vulnérabilité de l’Europe. La même erreur d’appréciation — on l’a vu — se reproduit au sujet de la tragédie de Beslan.

Vous évoquiez d’autres causes...

Oui, l’antiaméricanisme tient aussi à la tendance de nombreux Américains eux-mêmes à tenir le terrorisme international pour une affaire intérieure des Etats-Unis. Al-Qaida considère certes les Etats-Unis comme la «tête du serpent», et comme chacun sait, dans une logique terroriste, il est plus motivant de frapper la «tête du serpent» que d’autres parties de son corps. Il n’en reste pas moins que, pour al-Qaida et les djihadistes, la terre de la mécréance (ou de l’impiété) est une. Parmi les entreprises d’al-Qaida, depuis le 11 septembre 2001, il y a toute une variété de cibles qui sont loin de se limiter aux seuls intérêts américains. Comme disaient les Espagnols après le 11 mars madrilène : «Nous sommes tous dans ce train.»

Que pensez-vous de la thèse américaine selon laquelle al-Qaida, fonctionnant à la manière de l’ancien Komintern, il serait possible de lui attribuer des attentats aussi différents que ceux de Bali, de Djerba, d’Istanbul et, dernièrement, de Beslan et de Jakarta ?

Ces thèses dissimulent l’existence de trois cercles au sein d’al-Qaida dont le mode de fonctionnement n’est évidemment pas celui d’un mouvement de libération nationale ayant vocation à exercer le pouvoir au terme d’une révolution. D’abord, il y a le holding, ou direction générale, très petite et ramassée, très centralisée et hiérarchisée. Deuxième cercle, qui prospère depuis le 11 septembre : les franchisés. Chaque groupe est responsable de sa bottom line et libre d’exercer sa «créativité» dès lors que, respectant la charte fondamentale de l’organisation, il reçoit «un label de qualité» de la direction générale.

Quels sont les avantages de la franchise ?

Ils sont doubles. Le premier est défensif, le deuxième, offensif. La franchise d’al-Qaida permet de diversifier les modes opératoires des attentats. Ces diversifications présentent un net avantage défensif puisqu’elle rend la tâche des services de renseignements plus difficile. Bali, la synagogue de Djerba, les «intérêts israéliens» à Mombasa... Malgré un fil conducteur commun, chacun de ces attentats s’est déroulé selon un modus operandi différent. Un fil conducteur et un empilement de symboles communs reliaient ces attentats — ce que j’appellerais la charte de l’organisation : frapper la terre de la mécréance et tout ce qui contribue au mélange des cultures. Quant à l’avantage offensif de la franchise, c’est de prendre par surprise ses victimes en se manifestant par un attentat spectaculaire et nouveau. Bali et Madrid se ressemblaient par le carnage qu’ils ont occasionné mais étaient, par ailleurs, très différents. Cet élément de surprise est «bon pour le moral» des organisations terroristes.

Quel est le troisième cercle d’al-Qaida ?

Il existe des organisations terroristes et des groupes djihadistes tout aussi fanatiques qu’al-Qaida mais qui ne s’inscrivent pas forcément pour autant dans sa mouvance. De la même manière, vous pouvez avoir des gens proches d’al-Qaida qui opèrent dans une mouvance dont l’objectif n’est pas celui d’al-Qaida.

Est-ce le cas des milices de Bassaïev, responsables du massacre de Beslan ?

La Tchétchénie est au croisement d’un mouvement de libération nationale (dont les aspirations ne sont, en elles-mêmes, pas répréhensibles) et d’un certain nombre d’acteurs qui sont visiblement mus par des préoccupations qui dépassent largement la lutte nationaliste, parce que leur vocabulaire s’inscrit explicitement dans le djihadisme. Il arrive à al-Qaida de dire du bien du combat tchétchène, comme il arrive à des «qaïdistes» de trouver en Tchétchénie des terrains d’entraînement. Donc, la Tchétchénie fait penser à bien des égards à ce qui peut se passer pour le Hamas en terre palestinienne : il ne s’agit pas d’une planification d’actions sur le long terme.

Quelle est votre lecture de la tragédie de Beslan ?

Il va sans dire que je suis consterné par le caractère brouillon et brutalement incompétent des services de sécurité russes. Le b.a.-ba, après une telle prise d’otages, c’est d’installer immédiatement un cordon de sécurité pour empêcher quiconque de sortir sans vérification de son identité. Il n’en reste pas moins que jamais dans l’histoire humaine, des gens n’ont rassemblé plus d’un millier d’enfants dans l’intention de les faire exploser. Le mal absolu doit être reconnu et traité pour ce qu’il est. Il ne faut pas céder à la tentation de la rationalisation à rebours. Il ne faut pas succomber à l’attitude, si répandue, qui consiste à dire : «Ce qui est arrivé est la faute des victimes.»

Qu’est-ce qui distingue le Hamas ou les milices de Bassaïev d’al-Qaida ?

Ce qui distingue fortement al-Qaida du Hamas, par exemple, c’est la réactivité à une actualité politique : notamment lorsqu’un rapprochement s’esquisse entre Israéliens et Palestiniens, sous l’égide d’un émissaire américain... Une des marques de fabrique d’al-Qaida (tous cercles confondus) est, en revanche, de travailler dans la durée. La préparation des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie a duré quatre ans. Jusqu’en 1998, al-Qaida ne fait pas un seul attentat pour son compte. Les «qaïdistes» ont appris du Hezbollah chiite, pendant leurs premières années, comment faire des attentats à la voiture piégée. Le premier attentat réalisé par al-Qaida, c’est Nairobi, en 1998. Quant aux attentats du 11 septembre — baptisés «opération Avion» —, ils ont été planifiés à partir de fin 1998, début 1999. Personne alors ne pouvait prédire qui serait le président des Etats-Unis trois ans après.

Comment al-Qaida a-t-elle opté pour le djihad mondial ?

Il faut remonter à l’année 1989, en Afghanistan. Une discussion stratégique opposa alors Ben Laden à certains de ses compagnons. Il s’agissait de savoir si al-Qaida allait intervenir en appui événementiel à la première intifada ou bien, au contraire, frapper un objectif lointain. C’est, évidemment, la lutte mondiale contre le «mécréant» qui a été choisie. D’où, bien sûr, l’erreur qui aurait consisté à penser qu’une attitude hostile à la guerre d’Irak aurait pu suffire à s’immuniser contre l’hostilité d’al-Qaida. Ce qui compte, ce n’est pas la position de la France dans tel ou tel conflit ou enjeu stratégique, c’est qu’elle fait partie de la terre de la mécréance. Dans les périodes de calme parfois respectées par le Hamas, les Israéliens se sentent parfois raisonnablement rassurés. Le fait qu’al-Qaida laisse parfois s’installer des périodes de calme entre plusieurs actions n’est pas en soi rassurant. Si rien ne se passe pendant les deux années à venir dans la vieille Europe, cela ne voudra pas dire pour autant qu’al-Qaida aura désarmé. Loin de là.

Parce que le mode opératoire des actions terroristes est en train de changer ?

Jusqu’à maintenant, à l’exception des opérations de prise d’otages, le terrorisme a presque intangiblement fonctionné selon la règle des trois unités du théâtre classique : unité de temps, de lieu et d’action. L’attentat de Madrid répond, grosso modo, à la règle des trois unités. Et, malgré sa diversité, l’attentat du 11 septembre, aussi. Depuis qu’al-Qaida existe, cette organisation n’a cessé, jusqu’à aujourd’hui, de respecter la règle des trois unités. Le radiologique et le biologique, surtout s’il s’agit du biologique infectieux, font sortir de la règle des trois unités. L’épidémie de Sras, bien qu’elle fût non intentionnelle, donne une idée de ce que donnerait une attaque biologique infectieuse. On quitterait la règle des trois unités.

Un changement d’univers...

Oui, qui impose une révision drastique et accélérée de nos méthodes techniques, humaines et organisationnelles de prévention et de lutte. Dans le domaine militaire, on doit se préparer à un changement d’univers. Cela fait quelques siècles qu’il existe des budgets de recherche et de développement pour la conception de nouveaux armements. Les armements ne se conçoivent pas de façon spontanée. Il faut qu’un donneur d’ordres spécifie ce qu’il souhaite et donne de l’argent — de préférence au terme d’un processus concurrenciel — à un laboratoire ou à un industriel pour concevoir et développer lesdits armements.

Pour créer des réseaux d’alerte chimique, biologique ou nucléaire, il faut de l’argent. La Commission européenne en est d’ailleurs consciente ; elle n’a pas créé récemment par hasard un programme européen de recherche et de sécurité (Pers) dont la montée en puissance budgétaire ne devrait intervenir que d’ici à 2007. Il faut aussi créer de l’interopérabilité entre les différents services chargés de la recherche sur les moyens de lutter contre le bioterrorisme. Un chantier énorme, dans lequel les Européens ne sont pas du tout désavantagés par rapport aux Américains. Nous devons réfléchir maintenant, notamment en France, à la façon dont nous pouvons faire de l’interministériel de pilotage. Ce n’est donc pas les gouvernements européens qu’il faut mobiliser davantage, mais les relais d’opinion politiques et médiatiques.

Que voulez-vous dire ?

L’opinion publique place en tête de ses priorités la menace terroriste, comme en témoigne également l’esprit de coopération avec lequel la plupart des Européens accueillent les mesures visant à les protéger. Nous renouons avec un élément tragique de l’histoire qui n’est pas gérable comme la guerre froide...

Tuesday, September 07, 2004

Juffa.— Le dossier Arafat

Stéphane Juffa: Un livre indispensable
Metula News Agency, 07/09/2004.

Le dossier Arafat, aux Editions Albin Michel, sorti en librairies la semaine dernière.

Les auteurs, Karin Calvo-Goller et Michel A. Calvo, des juristes spécialistes du droit international, ont écrit un ouvrage saisissant. Saisissant de rigueur, d’abord, car ils évitent d’entrer dans des considérations politiques afin de s’en tenir aux faits bruts. Leur livre décortique, ensuite, tous les aspects des activités du leader palestinien et des organisations qu’il domine, dans la préparation, la direction et le financement de l’Intifada. Après l’avoir lu, aucune personne saine d’esprit ne pourrait intelligemment prétendre qu’il substitât un doute raisonnable, permettant d’assimiler cet épisode du conflit israélo-arabe à un acte de soulèvement spontané du peuple palestinien. Les chapitres “La préparation psychologique des Palestiniens” et “Arafat a assuré la préparation pratique de l’Intifada” démontrent au contraire, à concurrence de preuves, dont un certain nombre étaient inconnues du public, que le Président de l’Autorité palestinienne a minutieusement préparé son affaire.

Yasser Arafat, comme nous l’avons nous-mêmes illustré à la Ména dans de nombreuses analyses, a bel et bien instrumenté l’usage du terrorisme à grande échelle, à la poursuite d’un dessein politique. Dans cette démarche, passant par l’assassinat du plus grand nombre de personnes possible, des personnes choisies exclusivement en fonction de leurs appartenances ethnique ou religieuse présumées, il a pris le risque délirant de tenter de transformer son peuple en martyr volontaire. Certains passages du Dossier Arafat, décrivant à la lettre les arguments adoptés par l’endoctrinement des enfants à “devenir des bombes humaines” donnent la chair de poule.

Les Calvo publient par ailleurs certaines harangues d’imams, pas piqués des hannetons, qui ne manqueront pas de créer le trouble dans le cerveau de ceux qui s’entêtent à présenter ce conflit comme une guerre de décolonisation. L’extrait cité de l’appel du cheik Mohammed Ben Abd el-Rahman al-Arifi, à cet égard, est on ne peut plus parlant (page 67):

“Nous contrôlerons la terre du Vatican ; nous contrôlerons Rome et y introduirons l’islam. Si bien que les chrétiens, qui ont gravé des croix sur les torses des musulmans au Kosovo, en Bosnie et dans divers endroits du monde avant cela, devront nous payer la djiziya [taxe payée par les non musulmans sous règne musulman] dans l’humiliation, ou se convertiront à l’islam…”

Charmant programme ! Dans le sous-chapitre “L’enseignement de la haine”, on apprend aussi que sitôt Israël eut-elle transféré les pouvoirs d’autonomie à l’exécutif palestinien, en 1994 et en application des principes des accords d’Oslo, des accords d’Oslo visant à instaurer la paix entre les deux peuples, le ministère palestinien de l’Education de Yasser Arafat s’empressa de réintroduire les incitations à la haine des juifs et à la violence dans les manuels scolaires. Depuis 1968, une commission de l’UNESCO était chargée de vérifier le contenu de ces manuels, afin de s’assurer que la haine de l’autre n’empoisonnât plus les esprits de toute une génération dès les bancs de l’école. Cependant, et en dépit de ses pseudos appels à la paix, dès qu’il reçut la liberté de choisir l’orientation de son Ecole, le reclus actuel de la Moukata refusa tout contrôle de l’UNESCO et en 1995, le système de contrôle fut définitivement suspendu, à la demande de l’Autorité palestinienne et de la Ligue arabe.

Autre avantage du livre, il ne se confine pas dans la narration, même complète, des crimes commis par le raïs palestinien et à leur caractérisation. Maître Michel Calvo est en effet membre du collège d’avocats qui tente de diligenter la plainte de victimes françaises des crimes de guerre d’Arafat auprès de la justice française. Le dossier Arafat décrit au lecteur les péripéties incroyables que connaît cette action judiciaire, depuis le dépôt de plainte, avec constitution de partie civile, le 3 mars 2003.

Ici, de rappeler que la loi française permet à toute victime française d’un acte de terrorisme de déposer plainte auprès du doyen des juges d’instruction. Les charges retenues et abondamment étayées par l’accusation contre “Arafat et autres” comprennent des actes de génocide, des crimes contre l’humanité, la participation à un mouvement formé ou à une entité établie en vue de la perpétration — caractérisée par un ou plusieurs faits matériels — de l’un des crimes définis par les articles 211-1 et 212-1 du code pénal français, meurtre (et tentative et complicité), assassinat (et tentative et complicité), atteintes volontaires à la vie (et tentative et complicité), actes de terrorisme et association de malfaiteurs.

Dix mois après que le doyen eut accepté la plainte, dans cette justice française décidément peu inspirée par le principe de “tolérance zéro pour les terroristes, les racistes et les antisémites” que prône à tue-tête le Président de la république française, le procureur n’avait toujours pas déposé ses réquisitions. Ce délai record, digne de figurer dans le Guiness book, fait confirmé par les deux avocats pénalistes français que j’ai interrogés à ce sujet, empêchait la nomination d’un juge d’instruction et le commencement de l’instruction.

Le 12 janvier dernier, les avocats de l’accusation adressaient une lettre au Procureur ainsi qu’au ministre de la Justice, M. Dominique Perben, dans laquelle ils faisaient état de cet étrange dysfonctionnement de la justice, “alors que dans d’autres affaires, telles celles concernant des victimes françaises d’actes terroristes au Pakistan, des instructions judiciaires ont été ouvertes dans des délais très brefs (…)” (page 183).

Sans aucune réponse de la part des personnes concernées, près de trois mois plus tard (treize mois après l’acceptation de la plainte…), les avocats s’adressaient à Mme Nicole Guedj, la secrétaire d’Etat en charge de la protection des droits des victimes, reprenant les mêmes considérants que ceux exposés sur la première missive mais y ajoutant deux éléments confondants :

Les avocats mentionnaient que des parties civiles “perçoivent (dans ce délai inexplicable et inexpliqué Ndlr. [Metula News Agency]) une interférence du pouvoir exécutif dans le domaine du pouvoir judiciaire”. Comparant leur plainte à celles de victimes françaises du terrorisme à Djerba, Casablanca et Madrid, suite au dépôt desquelles des informations judiciaires ont été ouvertes dans des délais très brefs, les parties civiles concluaient par cette accusation, qui me semble à la fois terrible et terriblement préoccupante pour le statut actuel des Français de confession israélite : “Elles (des parties civiles) concluent qu’il existe des victimes françaises qui peuvent exercer leurs droits et des victimes françaises qui ne le pourraient pas et/ou des personnes qui peuvent être poursuivies en justice et d’autres qui ne le pourraient pas.”

Elles ne croyaient pas si bien dire, les malheureuses, puisque c’est par la lecture d’une indiscrétion figurant sur une dépêche de l’Associated Press, que les victimes d’Arafat apprenaient, le 29 avril 2004, que, suite à leurs plaintes, “la justice de leur pays allait enquêter sur des attentats perpétrés par le… Hamas”.

Etrange justice ? Les plaintes qui étaient déposées visaient pourtant nommément le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat et elles contenaient les motifs de génocide et de crimes contre l’humanité. Ces qualifications n’auraient pas été retenues par la “justice” française.

À la Ména, on plaint surtout le juge d’instruction et le Garde des Sceaux, leur suggérant de consulter les pages 243 à 252 du livre des époux Calvo. Eloquentes, sobres, elles font état, en lignes serrées de la liste des attentats contre les civils ayant été commis après les accords d’Oslo. Le plus grand nombre est à mettre à l’actif des organisations terroristes créées et chapeautées par le baron de la Moukata. Ils ont fauché des vies de citoyens français, dont des parties civiles, et en ont rendus d’autres handicapés à vie. On va voir comment la justice-tolérance-zéro des Messieurs Chirac et Perben va s’arranger pour coller sur le dos du Hamas les assassinats d’Arafat. Belle partie d’équilibrisme guignolo-juridique en perspective. Vous pouvez d’ailleurs compter sur nos services pour ne pas manquer une bribe de ce morceau de bravoure à venir.

Nous, de rappeler déjà à Perben qu’il n’est pas le Garde des sots, et que la tolérance zéro dans les actes de la justice française a été décrétée afin de lutter contre l’antisémitisme.

Un mot, encore, sur le style du bouquin. Il se lit bien, ça n’est pas du tout un recueil compliqué de juristes à l’attention de juristes. C’est un livre sobre, je me répète, prenant par son contenu, au point de nous faire réaliser à quel point Arafat s’en tire à bon compte, avec son assignation à résidence dans le palais du gouverneur de Ramallah. Vous l’aurez compris, amis lecteurs, un livre à posséder absolument, à lire et à conserver en référence contre toutes les incongruités qui polluent le papier et constipent les faisceaux hertziens.

Le dossier Arafat, aux Editions Albin Michel, de Karin Calvo-Goller et Michel Calvo, en vente au prix de 19 Euros 50 TTC. Pour consulter le site Internet du livre: Le dossier Arafat.



Monday, September 06, 2004

Millière.— La victòria d’Israel

Guy Millière: La victoire exemplaire d’Israël
Metula News Agency, 06/09/2004.

Je reviendrai dans des articles ultérieurs sur divers aspects inquiétants de la situation contemporaine, notamment sur les manœuvres de l’Iran et l’antisémitisme en France, mais j’ai passé l’été loin d’Europe, entre le Texas, la Californie, la Floride et le Nord-Est des Etats-Unis, où je me suis retrouvé afin d’assister à la convention républicaine. Et une réalité m’a semblé de plus en plus évidente à la mesure du temps passé.

Quelles que soient les vicissitudes politiques en Israël, quelle que soit l’âpreté de certains débats, quelles que soient les difficultés qui pointent encore sur l’horizon, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui au Proche-Orient est très claire : Israël a gagné la guerre de la seconde Intifada. D’une manière nette et éclatante.

Lorsqu’à l’automne 2000, Arafat a réenclenché une grande campagne de harcèlements et d’attentats suicides, il s’attendait, selon toute vraisemblance, à démoraliser la population israélienne et à galvaniser, inversement, la population arabe de Cisjordanie et de Gaza, voire celle des pays limitrophes, et à internationaliser le conflit, grâce à l’intervention de troupes d’interposition multinationales (toujours préconisée par la Président Chirac Ndlr. [Metula News Agency]). Il n’a réussi sur aucun plan.

À ce jour, la population israélienne n’est pas démoralisée. Si elle est amère d’avoir eu à subir les morts de ces mois et de ces années à cause d’un terrorisme abject et dans l’indifférence internationale, si elle est touchée par les conséquences économiques de l’insécurité qu’a fait régner le terrorisme, elle survit néanmoins, debout plus que jamais, fière, déterminée et insoumise. C’était bien mal connaître ceux qui, partant de rien, après avoir subi l’un des plus abominables crimes de l’histoire, ont réussi, envers et contre tout, à faire littéralement fleurir le désert et à transformer des terrains vagues en villes futuristes, à la pointe de toutes les technologies.

Parallèlement, la population arabe de Cisjordanie et de Gaza, elle, n’est pas galvanisée et guère portée par ses leaders vers l’enthousiasme, c’est le moins que l’on puisse en dire. Les récents mois et années de meurtres lui ont apporté, non pas la victoire ou le moindre espoir de triompher, mais toujours davantage de misère, de désolation et de stérilité. Aucune région du monde ne connaît les taux de chômage existant aujourd’hui en Cisjordanie et à Gaza. Les arabes qui travaillaient en Israël ont presque tous perdu leurs emplois, et comme la seule chose que l’Autorité Palestinienne soit capable de produire, c’est la fabrication de ruines et de ceintures d’explosifs, l’argent est rare et seule abonde la pénurie. Outre la déréliction, ce que Yasser Arafat a apporté à son « peuple » c’est le fanatisme et une haine, devenue d’autant plus stérile qu’elle ne sait plus répandre la mort, comme elle le faisait auparavant.

Pas d’attentat en Israël depuis trois mois, jusqu’à celui, incidentaire (dû à l’exploitation fortuite d'une opportunité), de Beersheva. La barrière de sécurité n’est pas encore achevée, mais elle porte déjà ses fruits, tout comme les campagnes d’éliminations ciblées de criminels récidivistes, tels que les dirigeants du Hamas.

Les pays limitrophes ne bougent pas et ne bougeront pas jusqu’à nouvel ordre : le régime syrien est sur la défensive, plus préoccupé par les risques découlant pour lui du lent retour à la décence en Irak, que par l’idée de faire la guerre à Israël. La Jordanie et l’Egypte souhaitent visiblement l’apaisement de la région et non son embrasement.

L’intervention internationale, européenne en particulier, en ce contexte, constitue désormais une hypothèse totalement improbable.

Le seul pays extérieur à la région qui ait du poids dans ce dossier est les Etats-Unis, et pour les Etats-Unis, la politique israélienne est globalement la bonne ; l’Autorité Palestinienne et surtout sont chef dément, sont hors jeu.

Le seul, l’unique pays à tenter de maintenir, ces derniers mois, un semblant d’existence politique à l’Autorité Palestinienne telle qu’elle est et à Yasser Arafat, justement, a été la France. Le moins que l’on puisse dire est que Chirac et ses disciples ont fait montre de constance dans leur erreur.

Après avoir tenté, jusqu’au bout, de sauver le régime de Saddam Hussein en Irak, après avoir exercé des pressions douteuses sur la Turquie aux fins qu’elle ne laisse pas passer les troupes américaines au sol, au moment du déclenchement de la guerre, après avoir refusé toute aide à la construction du nouvel Irak, après avoir pleuré l’élimination du cheikh Yassine, proclamé par le Quai d’Orsay, « chef spirituel », après avoir souligné de façon retentissante à Sea Island son hostilité à toute initiative visant à apporter davantage de démocratie au Moyen-Orient, Chirac a envoyé, voici quelques semaines, Barnier-chien-fidèle lécher les bottes de pervers pépère Yasser. Barnier, à rebrousse-poil des efforts internationaux, de déclarer que pervers pépère Yasser est le seul représentant « légitime » des « Palestiniens », de passer la nuit auprès de pervers pépère Yasser et de déclarer, épanoui, au réveil, que le mur construit par Israël était une honte.

Selon des sources plus qu’autorisées, Barnier aurait dit en outre à Arafat « qu’il devrait faire quelques gestes, sans quoi la France serait bientôt le dernier pays à soutenir l’Autorité Palestinienne ». Le seul geste que sait faire Arafat est le v de la victoire quand du sang a coulé, et cela ne changera plus.

Par ailleurs, Barnier et Chirac devraient regarder autour d’eux, ils retardent : la France est DÉJÀ le seul pays à soutenir encore Arafat de manière ouverte. La France, en raison de ses politiques invraisemblables est non seulement en situation de tensions avec les Etats-Unis, mais se place, graduellement, en situation de tension et d’isolement croissant en Europe. Quoi d’étonnant à ce que la France soit de plus en plus isolée en Europe ? Sous Chirac, la France a perdu tout ce qui lui restait de son discernement et de la conscience d’être une démocratie occidentale, solidaire de la vision démocratique et laïque du monde.

Israël, par contre, n’a cessé de gagner en dignité, en force, en détermination. La victoire remportée dans la deuxième Intifada doit être analysée pour ce qu’elle est : une victoire prometteuse pour le futur et l’exemple pratique, ô combien nécessaire !, pour les régimes éclairés, de ce qu’un Etat de droit peut vaincre le terrorisme organisé.

Marti.— Petroli

Serge Marti: Pourquoi le pétrole est revenu au centre de la géopolitique mondiale
Le Monde, 21/08/2004.

Il n’est pas si lointain le temps où le magazine britannique The Economist, réputé pour la qualité de ses analyses, annonçait le prix prévisible du futur baril de pétrole : 5 dollars. C’était en mars 1999, et le prix de l’or noir qui en valait alors à peine le double ne pouvait que baisser, assurait-on. C’est le contraire qui s’est produit, et dans quelles proportions !

Aujourd’hui, le cours du baril, qui, séance après séance, améliore son record historique à Londres et à New York, s’approche peu à peu des 50 dollars sans que quiconque se hasarde à prédire où et comment pourrait s’arrêter cette envolée. Qualifiée d’”irrationnelle” par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elle a des raisons multiples.

Elles proviennent autant des lois du marché dictées par une demande industrielle croissante que de facteurs non économiques : la guerre d’Irak, bien sûr, et l’insécurité accrue sur les approvisionnements en provenance du Moyen-Orient, qui détient 75 % des réserves mondiales prouvées, le dépeçage politico-financier du géant russe Ioukos, qui assure 20 % des exportations du pays et 2 % de la production mondiale, les aléas liés au brut vénézuélien, qui demeurent en dépit de l’issue récente favorable au président Hugo Chavez à propos du “référendum révocatoire”.

Ces éléments apparemment disparates mais qui ont pour enjeu commun la matière première la plus convoitée au monde, assurant à elle seule 40 % des besoins en énergie de la planète, contribuent à dessiner un nouvel ordre pétrolier à la géographie mouvante, de l’Afrique à la région de la Caspienne, au gré des intérêts de Washington et de Moscou, qui s’affrontent à présent sur des territoires longtemps gelés par la guerre froide. De plus, la perspective de voir se tarir ces gisements d’énergie fossile, après un déclin de la production envisagé dès 2010-2015, renforce la perspective d’un pétrole moins abondant et durablement cher.

Tout cela explique la flambée des prix du brut sur les marchés boursiers et la difficulté à les faire baisser. L’appel à ouvrir davantage les robinets lancé aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole avant sa prochaine réunion le 15 septembre, comme aux autres producteurs non membres qui assurent le reste des 82 millions de barils pompés chaque jour dans le monde, risque d’avoir peu d’effet à moyen terme. L’OPEP tourne à 96 % de sa capacité et aura du mal à satisfaire les 2 millions de barils/jour supplémentaires qui lui sont réclamés, un chiffre qui correspond à l’accroissement mondial de la demande en pétrole escomptée en 2004, la plus forte augmentation des quinze dernières années.

À l’origine de cette boulimie énergétique figure la Chine, dont les besoins, selon l’AIE, passeront de 5,5 à 11 millions de barils/jour d’ici à 2025 et dont le pétrole provient désormais en grande partie de Russie. L’ “atelier du monde” contribue à lui seul à 40 % de l’accroissement de la demande mondiale, et d’autres pays en développement industriel — les économies émergentes d’Asie et l’Inde notamment — figureront bientôt parmi les gros consommateurs alors que, signe des temps nouveaux, le Royaume-Uni est devenu, en juin, importateur net de pétrole pour la première fois depuis dix ans.

Sur la base de cette demande en progression constante et d’un retour de la croissance mondiale qui a entraîné une hausse de la consommation de brut d’environ 3,5 millions de barils/jour depuis deux ans, ce sont 120 millions de barils/jour qu’il faudra produire en 2025, 50 % de plus qu’aujourd’hui ! Où les trouver ? Potentiellement, l’Irak, qui figure au deuxième rang mondial en termes de réserves avec 15 milliards de tonnes derrière l’Arabie saoudite (36 milliards), joue un rôle-clé dans l’amélioration de l’offre. Mais le climat insurrectionnel sur le terrain oblige à revoir les schémas de production. La même prévention sécuritaire vaut pour l’ensemble du golfe Arabo-Persique. Il faut donc se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement.

Les Etats-Unis l’ont bien compris. Tout en surveillant de près des fournisseurs “historiques” parfois indisciplinés, tels que le Venezuela et le Mexique, et après avoir lancé l’idée d’un Grand Moyen-Orient démocratique susceptible de sécuriser une partie de leur approvisionnement énergétique, ils sont décidés à réduire leur dépendance à l’égard des pays et régions par trop instables. C’est là, par exemple, la justification de l’offensive diplomatique et économique lancée par l’administration américaine en direction du golfe de Guinée, d’où elle compte importer, d’ici à 2015, 25 % du pétrole consommé aux Etats-Unis contre 15 % aujourd’hui. Avec pour effet d’encourager le boom pétrolier escompté pour l’Afrique subsaharienne, dont la production de brut devrait passer de 4 millions de barils/jour actuellement à 9 millions en 2030 grâce, notamment, aux efforts de l’Angola, de la Guinée-Equatoriale, du Nigeria et du Tchad.

NOUVEAU SOUFFLE

Mais c’est surtout dans la région de la Caspienne, en proie elle aussi à un essor pétrolier et gazier dont bénéficient surtout l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan, que le pétrole se trouve replacé au centre de la géographie mondiale. D’après diverses études, ces trois ex-Républiques soviétiques disposeraient d’environ 30 milliards de barils de réserve de pétrole prouvée, soit l’équivalent des gisements de la mer du Nord, rapporte Laurent Ruseckas, du Cambridge Energy Research Associates, dans la revue Sociétal.

La réalisation de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), destiné à acheminer le pétrole d’Azerbaïdjan vers un port turc de la Méditerranée via la Géorgie, illustre les passes d’armes auxquelles se livrent Américains et Russes dans une région étroitement surveillée par les Iraniens, les Turcs et les Chinois. Parmi tous ces acteurs, la Russie revendique le rôle qu’autorise sa puissance pétrolière, à savoir près de 8 millions de barils/jour, autant que l’Arabie saoudite, mais aussi gazière, ce vaste pays détenant 45 % des réserves mondiales de gaz contre 36 % pour le Moyen-Orient. Ces deux données expliquent la reprise en main par le président Vladimir Poutine de la politique énergétique russe auprès d’oligarques soupçonnés d’avoir bradé les intérêts de la nation. Ou de l’ancien empire.

Parallèlement, explique Catherine Mercier-Suissa, maître de conférences à l’IAE de Lyon-III, face à la volonté de Washington de renforcer sa présence économique et stratégique en Asie centrale et en Géorgie — où elle dispose depuis le 11-Septembre de bases militaires — en favorisant la création d’une organisation régionale indépendante de Moscou, le GUAM, qui regroupe la Géorgie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, l’Azerbaïdjan et la Moldavie, le Kremlin a riposté en redonnant un nouveau souffle à deux structures. L’Organisation du traité de sécurité collective, qui lie quelques-unes des anciennes Républiques d’Asie mineure, est en passe d’être renforcée, de même que l’Organisation pour la coopération de Shanghaï. Celle-ci comprend, outre la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, un allié de poids : la Chine. Celle-ci est aussi un client de choix pour la Russie, qui envisage la construction d’un gigantesque oléoduc permettant de fournir en abondance du pétrole à partir du lac Baïkal non seulement à l’empire du Milieu, mais aussi aux deux Corées et au Japon. De quoi anticiper de nouvelles guerres de l’or noir.

Saturday, September 04, 2004

Brooks.— Bush’s Second Term

David Brooks.— Bush’s Second Term
New York Times, 04/09/2004.

White House aides like to say that George W. Bush is a transformational president. That’s an exaggeration, but if he’s elected to a second term and acts on the words he uttered on Thursday night, he just might be.

He’s already gone a long way to transform the Republican Party. This was a party united by the idea that government is the problem, that it should be radically cut back. On Thursday night, Bush talked about government as a positive tool. “Government must take your side,” he exclaimed.

He went on to propose a sprawling domestic agenda. Many of his proposals are small or medium-sized, and media rebutters have complained that not all of them are new (which is a ridiculous way to measure a policy idea). But cumulatively, they really do amount to something.

Bush proposes to build community health centers, expand AmeriCorps, increase the funds for Pell Grants, create job retraining accounts, offer tax credits for hybrid cars, help lower-income families get health savings accounts, dedicate $40 billion to wetlands preservation, and on and on and on.

This is an activist posture. As Karen Hughes said on PBS on Thursday evening, “This is not the grinchy old ‘Let’s abolish the Department of Education or shut down the government’ conservatism of the past.”

The biggest proposals, which could really make history, were only hinted at. But Bush understands the crucial reform challenge: “Many of our most fundamental systems — the tax code, health coverage, pension plans, worker training — were created for a world of yesterday, not tomorrow. We will transform these systems.”

In his speech, he redefined compassionate conservatism. The faith-based initiatives are now only a part of a much bolder whole. Bush declared that government should move energetically to help people get skills and to open opportunities. “Government should help people improve their lives, not run their lives,” he said. That is the essence of the party’s new governing philosophy.

The Bush agenda has been greeted with a wave of skepticism from my buddies in the press corps. How’s he going to pay for all this? Why didn’t he do more of this in his first term? Why was he so vague about the big things? Won’t he sacrifice it all on the altar of tax cuts?

But, of course, he’s not going to tell us at the peak of the campaign season about painful spending decisions. He’s not going to specify who is going to get gored by tax simplification. No competent candidate has ever done that, and none ever will. That doesn’t make the policy ideas bogus.

The fact is, it would be bizarre if a re-elected Bush didn’t have a magnified domestic agenda. Periods of war are usually periods of domestic reform because war changes the scale of people’s thinking. It injects a sense of urgency. You can see this evolution in the president’s own thinking.

When he ran in 2000, it sometimes seemed that he was running for governor in chief. But now he is thinking like a president, and his domestic notions are growing to match his foreign policy ones.

Obviously, the administration will have to make some tough decisions. First, it will figure out which of the many proposals it wants to do first. The obvious thing is to do tax simplification first because fixing up the tax code lets you eliminate distortions in health competition, saving patterns and a bunch of other areas.

Second, the White House will probably have to choose between reforming entitlements and making the tax cuts permanent because there isn’t enough money to do both. This is an easy call. Sacrifice the tax cuts. If entitlement programs aren’t reformed, we’ll be looking at a lifetime of tax increases. Modernizing the welfare state is a much bigger deal than some three- or four-point cut in the top marginal tax rate.

It should be said that I do have a voice in my head that says this is all a mirage — that all the reform ideas will be tossed aside for the sake of favors for the K Street crowd. But one can sense a tide in the affairs of government.

Republicans who embrace this limited but energetic government philosophy are in the ascendant (look at the convention speakers). Many Republicans and Democrats are coalescing around these ideas (in truth, several of Bush’s ideas are lifted from centrist Democrats). Besides, Bush may flesh out and promote this big agenda, if only to spite his media critics.