Tuesday, July 27, 2004

Memòria profanada

Colectivos judíos de Barcelona denuncian la destrucción de una placa que recordaba el holocausto

La placa de la Shoá, en el cementerio de Montjuïc, fue destruida dos veces el pasado junio


La Vanguardia, 27/07/2004.

Sergio Heredia, Barcelona

Treinta y dos días después de que la placa en memoria de la Shoá, el Holocausto nazi, fuera profanada, el tótem sigue desnudo, ahí arriba, en el Fossar de la Pedrera, en el cementerio de Montjuïc. Los colectivos judíos de Barcelona están recogiendo fondos para restaurar la placa, una inscripción esculpida en hebreo cuyo valor simbólico y sentimental es incalculable. La noticia es novedosa, aunque no nueva: la placa, destruida en dos ocasiones el pasado junio, ya había sufrido ataques en otras épocas, como el 2002 y el 2003. Mientras la Policía, cuya comisaría de Sants-Montjuïc ha recogido las distintas denuncias, busca a los autores de la profanación, los colectivos hebreos opinan que Catalunya está penetrando en una inquietante fase de judeofobia, un fenómeno que se atribuye a las nuevas posturas antiisraelíes. “Están surgiendo nuevas formas de antisemitismo”, dice Perla Aufgang, presidenta de la Comunidad Judía Atid de Catalunya. “No se trata de hechos aislados, sino de ataques en distintos ámbitos”.

A pesar de que lleva diversos años padeciendo agresiones de características similares, la comunidad judía de Barcelona —una comunidad de cifras imprecisas: se calcula que en la ciudad viven entre 5.000 y 8.000 judíos; en total, España acoge a unos 14.000— nunca había sacado a la luz el problema. En Barcelona, hace meses que proliferan las agresiones antisemitas. Ha sido destruida una placa en hebreo de la calle Marlet (Ciutat Vella), en la antigua sinagoga del barrio del Call, pintarrajeada con pintadas propalestinas. Han surgido pintadas antijudías en diversas fachadas del barrio de Gràcia. Y en la Universitat de Barcelona, los profesores del Departamento de Semíticas se han enfrentado a sorpresas desagradables: grupos de desconocidos arrancaron las inscripciones con sus nombres que colgaban a las puertas de sus despachos.

Sin embargo, para los colectivos judíos, la profanación del tótem en memoria del Holocausto nazi, “la catástrofe”, es el novamás. “Nos sentimos profundamente heridos —dice Dalia Levinsohn, presidenta de la Comunidad Israelita de Barcelona—. Esa escultura (fue esculpida en 1995) nos recuerda qué significó el holocausto. En ese lugar, nuestros niños acuden a actos de la Shoá: los pequeños deben tener constancia del exterminio de la IIª Guerra Mundial”.

A lo largo de junio, la placa fue destruida en dos ocasiones. Tras el primer ataque, a principios de mes, los colectivos judíos y el Ajuntament de Barcelona se hicieron cargo de los gastos de la restauración, que alcanzaba los 2.500 euros. El tótem permanece en carne viva desde la segunda agresión, denunciada el 26 de junio. “A priori, podría considerarse el ataque de un grupo neonazi o incluso de islamistas radicales —dice Xavier Torrens, profesor de Ciencias Políticas de la UB—. Sin embargo, este acto antijudío probablemente no es ajeno a la nueva judeofobia europea y es obra de gente con posturas antiisraelíes, tanto de derechas como de izquierdas, que persigue la demonización de Israel”. Según Torrens, los grupos antisemitas no toleran ver al judío en posición de víctima, de modo que difaman la memoria del Holocausto para criminalizar a Israel. “Esto nunca, ni siquiera en los tiempos del franquismo, se había visto aquí”.

El fenómeno es relativamente nuevo en nuestro país, a diferencia de lo que viene sucediendo en Francia, el país europeo con mayor número de actos de violencia antisemita, según un informe del Parlamento Europeo. “La sociedad y las instituciones deben tomar conciencia del problema y deben trabajar para evitarlo —dice Perla Aufgang—. Nuestra comunidad tiene miedo de que se repita algo que ya debería pertenecer al pasado”.

Valle.— No a Turquia en la UE

Alexandre del Valle (*): Les raisons de refuser la candidature d’Ankara
Le Figaro [26 juillet 2004]

Au lendemain de la visite à Paris du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, dans le but de convaincre les sceptiques qu’Ankara est désormais prête à intégrer l’Europe, le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union et sur les frontières de l’Union européenne mérite d’être poursuivi. Aussi est-il nécessaire tout d’abord de répondre aux principaux arguments des partisans de la candidature turque, puis d’expliquer quelles seraient les conséquences géopolitiques de l’adhésion d’Ankara.

Dire que la Turquie est historiquement européenne est aussi vrai que de dire que la France, en tant qu’ex-puissance coloniale, est africaine. La Turquie n’est pas plus européenne par sa géographie (excepté Istanbul et la Thrace) que par ses moeurs ou sa conscience civilisationnelle. Les Turcs se définissent comme un peuple asiatique dont l’Age d’Or est l’apogée de l’Empire ottoman, et si une faible minorité kémaliste ou issue des quartiers privilégiés d’Istanbul se sent européenne, les habitants des favelas d’Istanbul et des campagnes de l’Anatolie se reconnaissent plus dans le voisin irakien que dans les Européens du Nord ou même dans les Grecs chrétiens. La récente nomination d’un citoyen turc à la tête de l’Organisation de la conférence islamique (OCI, prosaoudienne), puis les propos irrédentistes inquiétants d’Erdogan accusant la Grèce de «persécuter les Turcs musulmans» de Thrace (1), ou encore la politique panturque d’Ankara en Asie centrale et dans le Caucase, montrent bien que la Turquie demeure ce pays «dreaming west and moving east».

Invoquer l’«irréversibilité» de la candidature turque sous prétexte qu’Ankara a signé un accord d’association en 1963, est membre de l’Otan et du Conseil de l’Europe, ou au titre d’une «promesse», ne tient pas. L’Otan et le Conseil de l’Europe ne sont pas des sas d’entrée dans l’Union. En réponse à la demande officielle d’adhésion d’Ankara (1987), qui fut rejetée, le Parlement européen avait voté une résolution — occultée aujourd’hui — exigeant en vain comme préalable la reconnaissance du génocide arménien, l’amélioration du sort des minorités, puis le retrait de Chypre. C’est donc Ankara qui n’a pas rempli ses obligations, et non l’inverse. Loin d’être un dû, le processus d’intégration de la Turquie peut être interrompu à tout moment sur décision d’un Conseil européen, d’un rapport négatif de Bruxelles ou par le veto d’un Etat membre.

— Dire qu’il «faut» intégrer la Turquie afin de démontrer que l’Europe n’est pas un «club chrétien» et ne «rejette» pas un candidat islamique est absurde : demande-t-on à la Ligue arabe d’intégrer Israël ou l’Inde pour prouver qu’elle n’est pas un «club musulman» ? Ce mauvais procès renverse les rôles, car c’est à la Turquie de prouver qu’elle n’est pas un «club musulman» : il y a plus de Turcs de confession musulmane à Paris que de chrétiens dans toute la Turquie (100 000), pays musulman à 99%.

— Dire que la Turquie demeure une «exception laïque» et un allié naturel contre l’islamisme, grâce à l’héritage d’Atatürk, est faux : la Turquie nouvelle autorise et réclame tout ce que rejetait Kémal : le voile, les partis islamiques, les confréries, les cours de religion obligatoires. Ses lois contre le blasphème condamneraient Atatürk lui-même ! Le kémalisme a connu un coup d’arrêt dès les années 50-60, avec les gouvernements Menderes et Demirel, et il est politiquement mort sous Turgut Ozal, ce grand artisan de la réislamisation qui abolit l’article 163 interdisant les partis islamistes. Comment peut-on soutenir qu’un pays dont 70% des femmes sont voilées, dont l’Etat entretient 90 000 imams et des milliers de mosquées, mentionne les religions sur les cartes d’identité, interdit la haute fonction publique et militaire aux non-musulmans, et qui est dirigé par un parti (l’AKP) issu d’un courant islamiste victorieux aux élections depuis le début des années 90, est encore un pays laïque ?

— On nous explique que les islamistes turcs au pouvoir sont des «modérés» et des pro-occidentaux qui maintiendront les liens avec l’Otan et Israël. C’est oublier les propos du ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, justifiant la polygamie devant un auditoire du SPD allemand, expliquant que «la démocratie n’est pas un but mais un moyen»(2). Les alliés américains savent eux aussi depuis la guerre d’Irak que la Turquie réislamisée ne coopérera plus jamais comme avant. D’autant qu’Erdogan a reproché à George Bush, lors du sommet de l’Otan de juin, sa politique «prokurde» en Irak (3), Ankara revendiquant une partie de ce pays au nom la même «politique des minorités» qu’elle invoque à Chypre ou en Thrace...

— L’intégration de la Turquie permettrait à celle-ci de «poursuivre sa démocratisation», nous dit-on. L’Union européenne est certes un espace de paix et de démocratie, mais elle est située du point de vue civilisationnel, donc naturellement «réservée» aux peuples de culture judéo-chrétienne marqués par la pensée gréco-latine et situés en Europe, ce qui fait déjà beaucoup de monde à démocratiser avant la Turquie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie étant infiniment plus européennes. Toute entité géopolitique doit avoir des limites claires, faute de quoi nous avons affaire à un phénomène néo-impérial ayant vocation à s’étendre à l’infini.

— Nos dirigeants ont-ils seulement conscience que la Turquie dans l’Europe deviendra l’Etat prépondérant de l’Union : dès 2020, Ankara disposera de 100 députés turcs majoritairement islamistes au Parlement européen (contre 72 pour la France et 98 pour l’Allemagne) ; sera la première puissance militaire et démographique de l’Union (bientôt 100 millions d’habitants et 850 000 soldats) ?

L’entrée de la Turquie dans l’Union ouvrira la boîte de Pandore de l’élargissement. Pourquoi refuser ensuite les 200 millions de turcophones du Caucase et d’Asie centrale ou les Etats du Maghreb ? L’UE héritera de tous les contentieux géopolitiques (eau, frontières, minorités, etc.) que la Turquie entretient avec ses voisins. Sans oublier les trafics de drogue, d’armes et d’immigrés clandestins dont elle est une des plaques tournantes majeures. L’Union aura comme voisins directs l’Iran des mollahs et la Syrie, parraines du Hezbollah ; l’Irak du djihad anti-occidental d’al-Qaida ; l’Azerbaïdjan et la Géorgie, points de passage des islamo-terroristes du djihad tchétchène...

Malgré cela, les partisans de la candidature turque affirment que son intégration à l’UE nous permettra de conjurer le choc des civilisations et de combattre la menace islamiste !

L’Europe serait une chance pour la démocratie turque, nous dit-on. Elle sera surtout une chance pour les islamistes turcs, jusque-là condamnés à édulcorer leur programme et à subir l’alliance avec l’Amérique et Israël tant que les militaires contrôlent le pays. Ne serait-ce que pour préserver l’exception kémaliste tant invoquée par les turco-euphoriques, les dirigeants européens devront réfléchir à deux fois avant de déclencher un processus qu’ils ne maîtriseront plus.


* Essayiste. Vient de publier aux éditions des Syrtes : LaTurquie dans l’Europe, uncheval de Troie islamiste?

(1) Agence Anadolou, 17 juin 2004.
(2) Gérard Croc dans la «Revue des Deux mondes», avril 2003.
(3) AFP, juin 2004.


Sunday, July 25, 2004

Vattimo.— Vers un crépuscule des valeurs ?

Gianni Vattimo: Vers un crépuscule des valeurs ? *
Le Figaro [24 juillet 2004]

J’espère que l’on ne me reprochera pas de reprendre une vieille thématique de l’extrême droite, voire du fascisme européen, si j’évoque pour commencer le titre d’un ouvrage d’Oswald Spengler publié en 1918 : Der Untergang des Abendlandes, Le Déclin (littéralement le «Crépuscule») de l’Occident. Je propose d’attribuer à l’expression de Spengler un sens différent sur le plan politique tout en conservant certaines de ses implications du point de vue descriptif. Je soulignerai notamment le lien qu’il établissait entre le déclin de l’Occident et l’impérialisme. Bien que je ne partage pas la théorie biologiste de la vie des civilisations, selon laquelle le monde occidental manifeste des signes de vieillesse, je constate qu’il présente des signes de maturité, qui caractérisent, sinon sa destinée, du moins sa vocation. (...).

Le déroulement des événements au Moyen-Orient, et sur les différents théâtres de l’action terroriste, peut bien être décrit comme l’attaque contre un monde mûr — le nôtre —, qui n’a plus les enthousiasmes et la violence, parfois désespérée, de la jeunesse et de ceux qui sont prêts à se sacrifier au nom d’idéaux éthico-religieux (...).

Il me semble indéniable que l’un des aspects majeurs du conflit actuel entre le monde occidental et ses ennemis réside dans le degré de sécularisation des sociétés en présence. Il est difficile de dire quelles sont les causes de ce décalage, dont nous connaissons presque exclusivement le côté occidental : la rivalité médiévale entre la papauté et l’Empire, la Réforme protestante, le siècle des Lumières, pour ne citer que les étapes majeures de la sécularisation des sociétés européennes (...). L’attitude que Karl Mannheim identifiait dans les années 30 comme caractéristique des intellectuels, une sorte de dandysme sceptique qui en faisait la véritable «classe-non-classe» capable de se libérer des idéologies, est désormais l’attitude générale des citoyens des grandes masses consommatrices de marchandises et d’informations qui peuplent le monde industriel (...).

En 1874, dans sa seconde Considération intempestive, Nietzsche décrivait cette attitude comme celle de l’intellectuel de son siècle, surchargé de culture et d’information historique, se promenant dans le jardin de l’Histoire comme dans un dépôt de costumes de théâtre, où il peut choisir arbitrairement le style qu’il veut adopter, quitte à en changer peu après, ce qui lui ôte toute capacité créatrice et fait de notre civilisation une civilisation décadente. Une surcharge de mémoire et de souvenirs nous empêche de créer de nouvelles valeurs (...).

L’erreur, si l’on peut dire, du jeune Nietzsche et, plus tard, du Spengler du Déclin de l’Occident était de penser que le crépuscule était quelque chose de négatif. Pour ma part, je n’hésite pas à considérer leur vitalisme comme une expression de la persistance de ce que Heidegger a nommé la métaphysique (...).

Nietzsche a écrit que «nous ne sommes plus des matériaux pour une société», signifiant par là que notre degré de caractérisation individuelle nous rend incapables de nous soumettre à des règles collectives. Ce n’est pourtant pas le cas de l’individu-masse de nos sociétés, puisque celles-ci sont fondées, dans le champ économique et social, sur un principe d’homologation des goûts, des comportements et des valeurs. Comme la société a perdu — et c’est heureux — beaucoup de ses caractères communautaires traditionnels, cette homologation se révèle être, en matière de valeurs, une homologation faible, qu’on peut définir comme un «historicisme de masse» prenant la forme du «dandysme intellectuel» dont parlait Simmel (...).

Les peuples tiers sont les cultures autres qui ne se laissent plus situer dans la mythologie occidentale d’une histoire linéaire. Ils sont autres, et non primitifs, attendant de pouvoir connaître la vérité avec les moyens de la «vraie» science de l’Occident et de reconnaître la valeur «vraie» de nos déclarations de principe. C’est le pluralisme des cultures qui rend impossible le mythe de la présence, car ce mythe implique l’idée d’une vérité unique, saisie par une méthode unique et qui mériterait de s’imposer au-delà des différents points de vue (...).

En prendre conscience signifie justement appréhender les valeurs avec une attitude de croyance limitée, typique de l’homme-masse de la civilisation postmoderne. Nietzsche ne considérait pas cette situation comme quelque chose de négatif, puisqu’il a écrit, dans Le Gai Savoir, qu’«il faut continuer à rêver en sachant que l’on rêve». Une capacité surhumaine (übermenschlich), telle est ce qui caractérise, au-delà de toute équivoque raciste, le surhomme nietzschéen. Peut-être Nietzsche n’est-il pas parvenu à définir de manière non contradictoire le surhomme, parce qu’il est resté prisonnier de l’idéal métaphysique de la vérité : ce n’est qu’au nom d’une très forte croyance en soi-même — donc par la survie de la foi en une vérité — que le surhomme pourrait se réaliser dans les formes violentes, souveraines, qui se trouvent aussi théorisées dans certaines pages de Nietzsche.

Il est plus vraisemblable, en allant bien au-delà de Nietzsche (...) que le surhomme, s’il ne veut pas rester prisonnier de la vérité, doive s’ouvrir à la charité, c’est-à-dire à des critères de rationalité liés au respect des autres sujets, plutôt qu’à l’idée de posséder une valeur qui mériterait d’être affirmée coûte que coûte. Cette attitude sceptique envers les valeurs, cette capacité à s’y tenir sans les considérer comme absolues, ne seraient-elles pas un des facteurs déterminants du déclin de notre civilisation ? On irait alors du crépuscule des valeurs au déclin de la — de notre — civilisation. Ne pourrait-on inverser cette dernière expression en parlant d’une civilisation du déclin ? Ce serait délicat, parce que nous vivons dans un monde où il est obligatoire de toujours parler de développement. Ce n’est que depuis quelques années qu’on a adjoint à celui-ci l’adjectif «durable» (...).

Si nous transposons notre réflexion au plan des valeurs, nous retrouvons le thème de la sécularisation, et notamment de la sécularisation inaccomplie des pays «tiers» d’où proviendraient, nous dit-on, les terroristes qui nous menacent — n’oublions pas, à cet égard, qu’il y a des terroristes partout (comme aussi des poètes ?), jusqu’au coeur de nos société développées. Cela semblerait nous amener à reprendre le mythe historiciste d’un progrès que ces sociétés devraient encore parcourir pour s’élever à notre niveau et ne plus être une menace à notre égard. Mais cette thèse de la sécularisation inaccomplie ne renverrait-elle pas au mythe historiciste et simplificateur d’un progrès que les sociétés du tiers-monde devraient encore accomplir pour s’élever à notre niveau et cesser d’être pour nous une menace ? Pouvons-nous nous référer sans hypocrisie au tiers-monde, marqué par de nombreuses conséquences de la domination coloniale, comme l’impossible émergence d’une bourgeoisie autochtone capable de diriger des pays devenus indépendants, sans adopter l’eurocentrisme masqué de la sécularisation inaccomplie ou l’idéologie universaliste des droits humains définis une fois pour toutes par nos organisations internationales ?

Pouvons-nous trouver une troisième voie, entre l’eurocentrisme et l’universalisme ? Elle pourrait consister en une négociation explicite qui respecte les différentes traditions, sans pour autant trahir la nôtre (...).

Cette attitude doit d’abord se réaliser chez nous, pour nous éviter l’erreur de croire que la seule façon d’échapper aux assauts de groupes ou de sociétés fondamentalistes soit de redevenir fondamentalistes nous-mêmes (...).

Il est peut-être vrai que la nouveauté de la situation réside dans notre manière de vivre les valeurs (...). Aujourd’hui, la force et la faiblesse de l’Occident résident dans le fait que nous «n’y croyons plus», alors que nos adversaires sont des fanatiques prêts à mourir et, surtout, à tuer. Céder à cette tentation de redevenir violents et «jeunes» signifierait «propter vitam vivendi perdere causas», c’est-à-dire survivre au prix de renoncer à ce qui constitue notre vie, non pas dans le sens biologique, mais «biographique» et éthique.

La sécularisation inaccomplie est donc un phénomène qui nous concerne avant tout. Elle ne signifie pas que nous devions renoncer à toute défense «militaire» de notre mode de vie, mais doit nous faire prendre conscience que, lorsque les armes deviennent la seule solution, nous n’avons plus de chances de nous sauver. Dans la mesure où nous mettons en danger notre mode de vie, au risque d’une défaite militaire ou de l’insécurité permanente dont souffre, par exemple, Israël, nous devons élaborer une civilisation du déclin, seule à même d’éviter que ne se préparent les conditions d’un terrorisme de masse.

Il faut ainsi donner une dimension moins agressive à notre développement (...). La distribution des biens entre les différents pays du monde exige de nous une véritable culture de la réduction (...). A la culture et à l’éducation revient la tâche de préparer sur le plan de l’imaginaire et de la psychologie collectifs un esprit public qui, fût-ce par pur pragmatisme, sache choisir ce difficile chemin.


* Philosophe. Ce texte est extrait de l’ouvrage Où vont les valeurs? (Editions Unesco-Albin Michel), dirigé par Jérôme Bindé.

Saturday, July 24, 2004

Serra.— Per què si ho fan els àrabs no és genocidi ?

Noemí Serra: Arribarem tard al Sudan
(El Punt, 13/07/2004)

Tal dia com el 28 de juny els serbis commemoren el Dia de la Pàtria; un dia trist, perquè el 1389 van perdre la primera batalla contra els ocupants turcs, a Kosova, una província on es remunta el bressol nacional i religiós i que avui precisament és un fumeral d’esglésies ortodoxes incendiades per exaltats albanesos... En la consciència europea i sobretot per la majoria d’esquerres, ja els deu semblar bé: què val una església cremada a la carnisseria de Srebrenica? Són equiparables els segles d’història artística i patrimonial a la impunitat de dos assassins? En aquells moments, quan les televisions ens mostraven els darrers instants de Srebrenica, quan en Mladic repartia xocolatines als nens bosnians abans de massacrar la població masculina, separada de la femenina, els espectadors d’arreu miràvem atònits aquella salvatjada i ens anaven bombardejant que allò era neteja ètnica, genocidi, extermini entre serbis ortodoxos i bosnians musulmans! Només ensenyaven una crueltat; vàrem menjar dies el tristament famós atac contra un mercat on la gent anava a la recerca de queviures. Cert, era francament monstruós veure-ho a cada àpat! Però quan això es repeteix en altres parts del món i justament les víctimes no són musulmanes, causa més aviat indiferència, ningú s’immuta... La salvatgia àrab és vista com una heroïcitat: a ningú li sona l’atemptat contra el mercat de Mehane Jehuda a Jerusalem?; o contra la discoteca de Iafo?; o l’autobús de Haifa, amb estudiants i treballadors?; o el restaurant d’estudiants de la Universitat Hebrea de Jerusalem?, etc. O potser ja no recordeu l’intent d’atemptat amb sang contaminada amb el virus de la sida? Què seria, un atac amb armes biològiques? Amb quines pretensions? Autodefensa? O la voluntat de disminuir el nombre de jueus a l’Estat hebreu?: genocidi, no? Les nostres esquerres, tan sensibilitzades pels genocidis d’altres pobles, que no siguin hebreus o d’altres més propers com el cas català, són completament cegues davant les monstruositats genocides dels àrabs musulmans. Quines mesures van prendre quan Saddam Hussein va gasificar amb productes químics el Kurdistan iraquià? On són les simpaties per la població africana, de religió animista, del Sudan? On són les pancartes d’«Aturem el genocidi»? Per què no detenen i porten al Tribunal de l’Haia el colpista islamista Omar al-Bashir? Tant rebombori a l’Afganistan pels Drets Humans, i més a prop es cometia genocidi! No és genocidi eliminar poblacions senceres eliminant-ne els homes? No és un crim contra la Humanitat violar les dones perquè tinguin descendència àrab i vendre-les com a esclaves? No és genocidi atemptar contra la integritat física de les persones sotmetent-les a fams continuades o negar-los la rebuda d’ajuda alimentària sense condicions com la conversió forçosa a l’islam? No ho és el trasllat forçós de nens a un altre grup per rebre instrucció militar o educació islàmica? No és neteja ètnica planificar el despoblament d’una zona i després repoblar-ho amb població àrab? Recordem que al Sudan només un 40% és àrab i la resta, de més de 600 ètnies. Ja van anar ràpid, l’ONU i altres institucions europees, a caçar Milosevic, però al Sudan —qui dia passa any empeny— arribaran quan el delicte hagi estat consumat i les proves, esborrades! Pel que es pot veure, el que van fer els serbis als bosnians musulmans no és vist amb els mateixos ulls ni tractat jurídicament igual; tampoc són tractades igual les víctimes jueves ni els seus assassins: per què si ho fan els àrabs no és genocidi?

Friday, July 23, 2004

Glucksmann.— Les trois sources de l’antisémitisme français

André Glucksmann: Les trois sources de l’antisémitisme français
(Libération, 23/07/2004)

Le 18 juillet, à Jérusalem, Ariel Sharon propose solennellement à tous les «juifs de France» de «venir en Israël» et précise qu’«ils doivent bouger immédiatement. En France, il se répand un antisémitisme déchaîné».

Sharon a tort, non point de s’inquiéter d’une réelle montée de l’antisémitisme en France, mais de l’expliquer de façon trop simpliste et d’en forcer le trait. En incriminant 10 % de la population française d’origine maghrébine, il plaque indûment le schéma des Intifadas sur une vague antijuive pas moins dangereuse mais davantage européenne, et partant plus contagieuse qu’il ne l’imagine.

1. Les 10 % de Français issus de parents ou d’aïeux musulmans ne font pas 10 % d’islamistes brûlant d’en découdre, solidaires des bombes humaines du Hamas. Les prêcheurs et les voyous qui prétendent importer l’Intifada et casser du juif sont ultraminoritaires dans ces fameux 10 %, ce qui est rassurant, mais ils s’allient avec d’autres courants antisémites, ce qui inquiète.

2. Un antisémitisme de gauche sévit sur les campus français (et européens, et américains) qui, sous couleur d’antisionisme, érige le Palestinien en figure emblématique venue se substituer au Prolétaire de jadis : porte-parole de tous les opprimés de la planète, fer de lance de la lutte contre l’impérialisme, le capitalisme et la mondialisation... Pour les rebelles branchés, Arafat = Guevara. Et réciproquement : Sharon = Hitler. D’où la délégitimation croissante d’un Etat qui se laisse diriger par un nazi. Le droit à l’existence d’Israël se voit ainsi remis en cause par nombre d’enseignants, militants écologistes, altermondialistes, ou simplement par les paléomarxistes et révolutionnaires en panne de révolution.

3. Un antisémitisme classique, honteux et silencieux depuis Vichy, Pétain et la Collaboration (1940-1945) relève sournoisement la tête. En particulier dans les milieux vieille France et conservateurs. Divers dérapages manifestent qu’une vulgate du Quai d’Orsay tient Israël pour une épine plantée au coeur du «monde arabe». On se souvient de la sortie d’un ambassadeur de France à Londres sur ce «shitty little country... Why should the world be in danger of World War III because of those people?». Ancien porte-parole officiel d’un ministre des Affaires étrangères du président Mitterrand, l’ambassadeur fut épinglé dans la presse anglaise, mais ne présenta aucune excuse. Ses propos sur «le petit Etat de merde» ne furent pas jugés «inadmissibles» comme ceux de Sharon aujourd’hui. Il finit sa carrière comme ambassadeur de France en Algérie, poste envié et décisif. Quand Berlusconi proposa ex abrupto d’étendre l’Europe à la Russie, la Turquie et Israël, il lui fut répondu côté français : pourquoi Israël ? «Il n’y a aucun lien géographique» (ce qui est vrai), aucun lien «ni historique ni culturel entre Israël et l’Europe» (ce qui est un comble d’analphabétisme volontaire). Blague connue : «Demain on tue les juifs et les coiffeurs ! — Pourquoi les coiffeurs ?» La disparition d’Israël ferait couler peu de larmes à Paris, n’était la difficulté d’une telle issue, vu l’alliance Washington-Jérusalem. Antisémitisme, dénonciation de la perfide Albion et antiaméricanisme n’ont pas attendu Blair, Bush et Sharon.

Malheureusement, l’actualité conjugue les trois manières d’ostraciser les juifs et prépare de dangereux cocktails :

1 + 2. Les islamistes sont chaudement accueillis par les bonnes âmes altermondialistes. Tout se passe comme si les contestataires politiquement corrects trouvaient dans les intifadistes des quartiers déshérités une nouvelle «base de masse», ersatz des ouvriers qu’ils ne recruteront jamais. Réciproquement, les gangs de banlieue apprécient le parapluie juridique et médiatique que leur assurent les bien-pensants ex-tiersmondistes.

1 + 2 + 3. De l’extrême gauche à l’extrême droite, toute la France politique — simples militants, députés, syndicalistes, ministres et chef de l’Etat confondus — a tonné contre l’intervention en Irak : «Bush = Sharon = assassins», dit la rue. «Sharon = Bush = mépris de la loi internationale», assurent les salons. Loin d’être un simple effet d’Intifada, la montée de l’antisémitisme est jumelle de la vague d’antiaméricanisme qui a frappé l’Europe depuis le 11 septembre et la submerge depuis la guerre d’Irak. Or la diplomatie française a pris la tête de la croisade antiaméricaine. Puisque la France politique quasi unanime juge les dirigeants américains et israéliens hors la loi, rien d’étonnant à ce que les émules des martyrs du Hamas frétillent comme poissons dans une France qui se reconnaît deux grands ennemis : Bush et Sharon.

Pas de fausse panique, monsieur Sharon ! Il n’est pas temps pour les Français d’origine juive de boucler leurs valises «as soon as possible», immédiatement, pour fuir en Israël. La France ne vit pas une Nuit de cristal, elle subit une marée haute de bêtise hargneuse et prétentieuse. Cela arrive de temps en temps en douce démocratie. La vague lèche d’autres rivages, à charge pour tout citoyen de bon sens, juif ou pas, de soigner sur place, chez lui, une maladie mentalement transmissible.


Wednesday, July 21, 2004

Adler.— Irak : l’engrenage de l’exagération

Alexandre Adler: Irak : l’engrenage de l’exagération
Le Figaro [21 juillet 2004]


Une session de la Chambre des communes s’est tenue hier à Londres sur le «rapport Butler»

Cette fois-ci, nous sommes à peu près fixés : le rapport confié en Grande-Bretagne à lord Butler, le chef du Civil Service (l’équivalent approximatif de notre vice-président du Conseil d’État), permet de comprendre tout le processus de décision qui a conduit Tony Blair à choisir de mener la campagne d’Irak de 2003 avec les États-Unis, y compris les exagérations et les imprécisions qui lui ont servi à motiver sa décision devant une opinion publique britannique réticente. Dans le même temps, les investigations parlementaires américaines sur les insuffisances des services de renseignements ont peut-être jeté une lumière encore plus crue sur les incohérences, les chaos et les remords de la prise de décision américaine elle-même. Il demeure sans aucun doute quelques zones d’ombre que nous essaierons de cerner à la fin de cette chronique, mais pour l’essentiel nous savons maintenant ce qui s’est passé. N’est-ce pas là le plus beau témoignage du bon fonctionnement d’une démocratie libérale où la séparation des pouvoirs permet en définitive très rapidement à l’opinion publique de se faire juge de l’action du pouvoir exécutif, en disposant d’une information sincère et à peu près complète ?

Que nous disent en effet aussi bien lord Butler que les membres de la commission sénatoriale d’enquêtes à Washington ? Que ni Bush ni Blair n’ont jamais menti à leur opinion de manière consciente et délibérée. Ils ont pensé jusqu’au bout (la diplomatie française aussi, d’ailleurs) que Saddam Hussein disposait de capacités de destruction massive bien réelles et dont l’emploi était devenu de plus en plus incertain. Mais aussi, qu’ensuite, un processus d’emballement s’est en effet produit dans la communication de ces craintes. On a cherché aux États-Unis dans l’entourage du vice-président Cheney, en Angleterre dans la toute-puissante, ou à tout le moins trop puissante, cellule de communication du premier ministre, à enjoliver des rapports déjà alarmistes de divers services secrets dans le but non seulement de convaincre la masse de la population mais surtout, et c’est plus grave, de lever les dernières hésitations à l’intérieur même de l’exécutif. Tout se passe en effet comme si l’avalanche de formules totalement assertives, et il apparaîtra bientôt essentiellement fautives, avait été provoquée pour faire taire le département d’État de Colin Powell, ou emporter l’adhésion d’un cabinet travailliste traditionnel en réalité hostile à la guerre. Tel est le péché commun de George Bush et de Tony Blair. Mais de mensonges délibérés, de campagnes de désinformation comme en connaissent toutes les dictatures du XXe siècle et leurs surgeons contemporains, pas une trace.

Les deux erreurs les plus flagrantes sont donc les suivantes : Tony Blair a «agrémenté» son rapport d’une assertion très discutable, celle de la mise en oeuvre en environ quarante-cinq minutes de leurs armes chimiques par les militaires irakiens. Toute personne un peu au courant des procédures en ce domaine sait que ce délai de quarante-cinq minutes correspondait effectivement aux performances des meilleures unités chimiques de l’armée soviétique qui s’entraînaient très régulièrement à cette fin. Même si le matériel et les concepts d’emploi irakiens proviennent, en matière chimique, de l’arsenal et de l’aide technique soviétiques d’antan, il n’en est pas moins vrai que l’armée irakienne n’était pas aussi performante lorsqu’elle utilisait effectivement ses armes chimiques (contre les Kurdes ou contre les vagues humaines iraniennes) et, surtout, que depuis l’ouverture du régime des inspections, entre 1993 et 1998, elle n’avait plus eu le moyen de procéder à des manoeuvres.

Si les stocks chimiques qu’on aurait pu enterrer devaient atteindre des unités combattantes avec une logistique complexe et sous les bombardements aériens anglo-américains, ce n’est évidemment pas de quarante-cinq minutes que l’armée irakienne avait besoin, mais sans doute de trente-cinq à quarante heures.

Cette exagération ne constitue pas pour autant un mensonge. Après tout, au Kurdistan et en Iran, les témoignages d’une utilisation massive du chimique par l’armée de Saddam sont bien là. La production d’armes chimiques est la plus facile au monde pour qui, comme l’Irak, produit des médicaments et des engrais. S’il est vrai que, déjà, les deux gendres en fuite de Saddam avaient bien déclaré à leurs interrogateurs de la CIA dès 1996 que l’essentiel des stocks chimiques avait été détruit, on pouvait imaginer que ces stocks avaient été rapidement reconstitués lorsque Saddam eut, avec l’approbation de la France et de la Russie, mis fin aux inspections de l’ONU. Enfin, il faut verser au dossier le témoignage de l’ancien chef des services secrets roumains Ion Pacepa, qui a souvent été fiable, selon lequel les forces armées du pacte de Varsovie, soviétiques mais aussi roumaines, avaient mis au point un plan de liquidation des armes chimiques et bactériologiques en cas d’arrivée imminente des Américains. Cette opération, dont Pacepa donne le nom de code, aurait déjà été réalisée dans les années 80 avec la Libye de Kadhafi. La crainte, en effet, qu’une utilisation décentralisée et erratique du chimique, pour ne pas parler du bactériologique, n’entraîne une force conventionnelle américaine à des représailles très massives, était dominante à l’époque à Moscou. On va ajouter qu’à partir de l’avènement d’Andropov en 1982, l’Union soviétique avait commencé sans trop le dire à reprendre un à un les jouets les plus dangereux que Brejnev et les siens avaient laissé filer vers le tiers-monde. Mais il n’y a rien d’invraisemblable à ce que ces protocoles, élaborés en leur temps par l’Armée rouge et le KGB, aient tout simplement servi à Saddam pour supprimer au dernier moment les armes chimiques et bactériologiques les plus dangereuses dont il disposait, dans le but d’éviter tout incident dès lors qu’il venait d’accepter à l’automne 2002 la reprise des inspections de l’agence de Vienne.

Manifestement, les services secrets anglais et américains n’ont pas compris cette manoeuvre de «maskirovska» (feinte, en russe) si typiquement soviétique que le lieutenant-colonel des services, Vladimir Poutine, ne puisse empêcher de signaler le premier avec une ironie triomphale mal contenue à Washington en faisant remarquer, dès les premiers jours de l’occupation de l’Irak, que les armes de destruction massive ne seraient jamais trouvées. Il en savait quelque chose.

L’autre erreur, la plus grossière qui ait été commise, provient d’un analyste en chef de la CIA chargé du dossier nucléaire et qui a continué à prétendre pendant un an et demi que le matériel de centrifugeuses acheté illégalement par l’Irak en l’an 2000 avait pour but de produire de l’uranium militaire enrichi. Or, quelques semaines seulement après cette assertion, une contre-expertise tout à la fois interne à la CIA et provenant du service rival et militaire la DIA avait montré de façon convaincante que ces centrifugeuses ne pouvaient servir qu’à fabriquer des réacteurs de rockets. Ici, le dysfonctionnement appartient aux services secrets américains et au vice-président Cheney : au lieu de laisser la communauté du renseignement faire son travail dans le calme, le vice-président, lui-même ancien ministre de la Défense, avait créé une «task force» qui, comme le bureau d’un procureur aux États-Unis, ne retenait que les preuves à charge, quitte à les alourdir un peu. C’est ainsi que l’erreur de jugement d’un analyste, pourtant corrigée en temps réel par le service lui-même, est devenue une erreur officielle sanctionnée par l’autorité du vice-président et rendue possible par l’ineptie courtisane de l’ancien directeur très politique de la CIA, George Tenet.

En revanche, dans la seconde affaire souvent invoquée à charge, qui concerne le nucléaire irakien, c’est l’Administration, et non ses détracteurs, qui avait raison. Le dénommé Joseph Wilson, ancien ambassadeur au Niger et militant du Parti démocrate, avait été envoyé à Niamey pour enquêter sur les possibles contacts, voire les contrats secrets qui auraient été noués entre le gouvernement nigérien et les services secrets irakiens aux fins d’acheter de l’uranium brut des mines d’Arlit qui fournirent longtemps notre propre force de frappe. Après un entretien assez naïf avec le président Tandja — qui fit tout de même assassiner son prédécesseur, lequel fut mon ancien élève —, le sagace Wilson avait conclu qu’il n’en était rien. Lorsque l’on découvrit que le soi-disant contrat était un faux fabriqué dans une officine, on décida partout que le compte des Anglais et des Américains était bon. Un nouveau mensonge intéressé. Et lorsque, pour se défendre, des émissaires de Cheney et de Rumsfeld communiquèrent en sous-main à la presse le fait que le dénommé Wilson — qui les incendiait dans cette même presse — était marié à un officier supérieur de la CIA, le concert se fit accablant. Or Wilson est bien celui qui a menti le plus ouvertement en prétendant avoir été choisi pour sa mission par le département d’État, alors que la commission sénatoriale a tout simplement révélé que c’est sa femme, à la CIA, qui a insisté auprès de Tenet pour qu’on envoie son mari. Et pour cause, Wilson ne voulait pas davantage apparaître dans ses liens personnels avec le service de renseignements américains, qu’il ne voulait reconnaître qu’il partait avec la mission de ridiculiser l’enquête britannique qui faisait une nouvelle fois apparaître l’incompétence de Langley. Or c’est bien le MI 6 qui a eu vent de ce trafic d’uranium et fabriqué le faux comme il est courant dans le renseignement, pour masquer l’origine de sa source — sans doute un membre du gouvernement du Niger et sans doute aussi un pays ami et voisin, peut-être ancien, le Nigeria, peut-être très nouvel ami, la Libye.

On peut donc considérer que, si Saddam a eu bien du mal à reconstituer le potentiel industriel nucléaire que l’agence de Vienne — grâce surtout à l’excellent travail du professeur Kelly qui s’est depuis suicidé — avait réussi à démanteler, ces services secrets dopés par le produit fabuleux de la contrebande pétrolière continuaient, eux, à faire leur marché de matières fissiles, sans doute en attendant des jours meilleurs.

Tel est donc le bilan, au total peu accablant, des manquements des gouvernements américain et britannique en matière de renseignements. On y reconnaîtra à l’évidence ce que Clausewitz avait opportunément baptisé de «forces de frottement à la guerre». Au-delà de ces peu évitables imperfections, on notera tant à Londres qu’à Washington une propension à l’excès de propagande. Mais cela est aussi la grande leçon de la Seconde Guerre mondiale : les démocraties ne sauront jamais rivaliser avec les Goebbels et leurs émules contemporains. Plutôt que de mettre un doigt dans cet engrenage, les nations libres s’honoreraient en mettant un terme définitif à toutes les propagandes, à tous les Diafoirus en communication que les Anglais ont baptisé de «spin doctors». La leçon de Winston Churchill, c’est qu’il y a une vertu encore plus haute que le courage, c’est l’amour de liberté qui ne fait qu’un avec l’amour de la vérité.