Friday, October 29, 2004

Glucksmann.— Le Discours de la haine (extraits)

Près de quarante ans après le Discours de la guerre, qui le révéla au grand public, André Glucksmann, inlassable philosophe, publie le Discours de la haine. Le Figaro Magazine vous en présente quelques extraits en exclusivité.

Texte établi par Patrice de Méritens.
Le Figaro Magazine, 16/10/2004.


Pour ses têtes de chapitres, André Glucksmann a le génie des titres décalés : «Dans l’atelier des bombes humaines», «Pourquoi les coiffeurs ?», «Cherchez la femme», «Bonjour monsieur Montaigne !» ... Après avoir dédié son ouvrage à «une rose de Tchétchénie très chère et si lointaine», le voici dans le vif du sujet :

Tantôt brûlante et brutale, tantôt insidieuse et glaciale, une haine inlassable hante le monde. Son spectre obstiné et têtu saccage les relations privées et les affaires publiques. A chacune de ses apparitions on fait mine de tomber des nues. Et chacun de s’offusquer, découvrant que mairies, écoles et commissariats n’éradiquent pas les conflits entre cages d’escalier, tout comme l’ONU, armée de sa sacro-sainte loi internationale, peine lamentablement à instaurer une paix planétaire partout souhaitée, partout rêvée, sans cesse dynamitée. La myopie perdure et ceux qui décidément veulent mourir idiots entonnent l’éternelle antienne du : «Comment est-ce possible au XXe siècle ?», retoquée au goût du jour : «Comment est-ce possible au XXIe ?»

La prétention d’avoir tourné la page gouverne les qu’en-dira-t-on. N’avons-nous pas relégué les haines collectives dans les livres d’Histoire et renvoyé les méchancetés individuelles aux bons soins des psychologues ? Peu importent les avertissements qu’assènent les innombrables pépins de l’actualité, l’euphorie moderne passe outre et s’empresse illico de démentir savamment ces démentis. Tout s’explique, se comprend, s’excuse. Le pédophile est victime d’une enfance malheureuse, l’assassin de vieilles dames argue de cuisants besoins d’argent, les violeurs de banlieues sont fils du taux de chômage et les «tournantes» dans les caves, où les filles de 15 ans sont outragées à répétition, relèvent d’une pénurie d’équipements sociaux. Dans la foulée, on maquille Ben Laden en noble ou fâcheux représentant des humiliés et des offensés planétaires. Il serait stupide d’en faire une maladie, contre-productif de le monter en épingle, et malvenu d’exagérer la menace terroriste qu’il brandit avec ses émules. Des légions d’optimistes recommandent aux Américains, traumatisés, trop angoissés, les calmants d’usage. Nos pharmacies ont réponse à tout.

Thèse majoritaire et bien-pensante : la haine majuscule n’existe pas. Celui qui la pointe du doigt esquive les vrais problèmes. Celui qui croit l’avoir et la revendique est prisonnier d’un mirage. La haine qu’il éprouve, et qu’il manifeste, doit être réduite à des causes extérieures qui la précèdent : malheurs, malencontres, misères, frustrations, humiliations et offenses. Ainsi pensent les Diaphoirus de l’âme. La haine n’est que le fruit gâté d’un manque d’éducation. Education qui se fait fort d’abolir ce qui n’existe pas. Acquittement général, embrassades unanimes.

Thèse défendue ici : la haine existe, nous l’avons tous rencontrée. A l’échelle microscopique des individus comme au coeur des collectivités géantes.


Violence planétaire. Nous sommes passés de l’âge de la bombe H à celui des bombes humaines : Manhattan 2001. Fini l’équilibre de la terreur jadis réglé par quelques grandes puissances. Le déséquilibre des terrorismes révèle un pouvoir d’universelle nuisance à la portée du plus grand nombre. Cette haine si partagée est structurée comme un discours qui répond de tout, à tous : quand ça va mal, ne cherchez plus, c’est «la faute au sexe», «à l’argent» et «aux boutefeux impérialistes». Partant en guerre contre les Juifs (qui pourrissent l’humanité), la Femme (qui perturbe le moi) et l’Amérique (mauvais démiurge des deux premiers), la haine prêche un fabuleux retour à l’ordre. Elle exige que le moi, le monde et la providence divine tournent rond. Son fracas se veut paradoxalement gardien de nos sommeils.

L’étrange capacité d’agglutiner des délires singuliers et les rages hétérogènes autour d’une furie lyncheuse collective pour en faire un lien social d’excellence s’illustre, énigme entre les énigmes, par la haine des Juifs. Cette passion destructrice traverse les millénaires, s’habille au goût du jour, renaît sans cesse des cendres de divers fanatismes qui semblent la motiver. Elle parut chrétienne, mais lorsque l’Europe se déchristianisa, elle atteint son acmé. On la croyait éteinte après Hitler et voilà qu’elle se mondialise. On l’espère cantonnée dans quelques excès obscurantistes ou xénophobes, mais l’actualité du soir titre sur Jérusalem et ses environs, à charge pour chaque habitant de la planète de prendre parti et de choisir son camp.

La «question juive» n’est aucunement une obsession maladive qui n’agiterait que les cervelles intégristes musulmanes, lesquelles ne font que ravauder les thèmes éculés des antisémitismes religieux, étatistes, anti-occidentaux jadis véhiculés par l’Occident lui-même. Beaucoup plus bizarre est la tolérance et la complaisance d’une opinion mondiale avertie, éclairée et pétrie, à l’en croire, des meilleures intentions.

Mikis Theodorakis, grand compositeur et grande conscience s’il en est sous le soleil de la Grèce moderne, déclare, très applaudi devant un parterre de journalistes et de ministres : «Nous sommes deux nations sans frères dans le monde, nous [les Grecs] et les Juifs, mais ils ont le fanatisme et le culte de la force... Aujourd’hui nous pouvons dire que cette petite nation [les Juifs] est la racine du mal, pas du bien, trop de suffisance et trop d’obstination c’est le mal... Ils n’ont que les ombres d’Abraham et de Jacob, nous avons le grand Périclès» (novembre 2003).

Soyons clairs. Le propos n’est pas ici d’incriminer quiconque critique telle ou telle politique d’Israël. Que ce soit celle du gouvernement ou celle de l’opposition. Pacifisme ou bellicisme. Chaque citoyen, sur notre planète éclairée, dispose librement du droit d’exprimer une opinion négative touchant la ligne supposée trop militariste de tel leader ou trop angélique de tel autre. A l’exemple des électeurs israéliens qui perdent rarement l’occasion de contester impitoyablement leurs éphémères représentants, nul n’est tenu de soutenir sans conditions la majorité au pouvoir, sous peine de tomber dans l’absurdité de condamner, non moins sans conditions, l’opposition du jour, laquelle peut démocratiquement devenir la majorité de demain.

Marquer son désaccord avec une option stratégique, pour l’instant dominante dans l’opinion israélienne, ne mérite donc aucunement d’être taxé d’antisémite, antijuif ou judéophobe. Est-ce à dire que ces qualificatifs péjoratifs sont désormais hors d’usage ? Ou bien que de multiples exagérations et dérapages transgressent le champ des libres discussions et leur prêtent une nouvelle vie ? L’outrance signale communément que la passion est en train de l’emporter sur le bon sens. L’accumulation d’outrances témoigne que l’argumentation rationnelle ou raisonnable cède le pas à des pulsions inavouées parce qu’encore inavouables.


Parmi les interrogations posées par la question juive, celle du destin des Etats-nations :

C’est une question que l’Europe des Etats se pose à elle-même. Que penser, que faire de ces étranges apatrides qui circulent entre les Etats, alors que ceux-là — les uns comme les autres et les uns contre les autres — s’emploient à unifier leurs populations et à les souder militairement, culturellement, économiquement ? Tandis que les administrations centrales s’érigent responsables de la sécurité, de la santé, de la prospérité de leurs sujets-citoyens, la circulation interfrontalière des gens sans terre encombre de plus en plus.

On est loin des problèmes de vagabondage, de trafic, de contrebande, facilement maîtrisables. Les Etats-nations s’angoissent de ne pouvoir contrôler un marché mondial en plein essor. Le mouvement des capitaux et des marchandises perturbe sans cesse les politiques étatiques ; la circulation des idées, des sentiments, des inventions, des modes et des moeurs ne respecte pas les barrières frontalières et menace la cohésion, voire l’âme des collectivités en pleine auto-adulation.

Les penseurs du XIXe opposent la plénitude spirituelle et matérielle de la communauté («Gemeinschaft» selon Ferdinand Tönnies, stades «organiques» d’Auguste Comte) et l’action dissolvante des circulations sans frontières («Gesellschaft» de Tönnies, société ou stade «critique» de Comte).

Hegel est formel : «L’Etat ne convient pas au principe juif et reste étranger à la législation mosaïque.» Le Juif-juif vit, selon Hegel, dans un «état de passivité complète, d’une laideur complète». Cette définition n’est ni raciale ni esthétique, mais politique, le Juif est un animal sans patrie. L’Europe des Etats parie que les Juifs sans Etat basculent, par définition, du mauvais côté, entendez du côté de l’ennemi, quel qu’il soit, où qu’on soit : parias, traîtres en puissance ou cinquième colonne potentielle. Le ver est dans le fruit.

Aporie des Etats modernes : ils sont modernes pour autant qu’ils participent à l’expansion polymorphe de la mondialisation, ils s’affirment Etats en revendiquant une maîtrise pleine et entière des effets de cette mondialisation. On comprend que la «question juive» taraude l’Europe des Etats, puisque celle-ci nomme «juive» sa propre impuissance. L’argent est juif, voyez Rothschild ! La circulation des idées révolutionne les certitudes des sciences fantasmées nationales, voyez Einstein ! Comme la circulation des sentiments contamine les us et les traditions de la communauté, voyez Freud !, l’art dégénéré, juif lui aussi, pervertit les candeurs citoyennes ou raciales.

Wagner, aussi antisémite fût-il, n’échappe pas à l’opprobre et voit sa musique taxée de judaïsme. Au début du XXe siècle, Paris médit des intellectuels interlopes qui, chaque année, font pèlerinage à Bayreuth, trahissent la bonne musique française et s’inféodent aux rugissements wagnériens. Au même moment Berlin pangermanique fustige la société cosmopolite qui entoure Cosima Wagner. Avant, quelques années plus tard, de caresser Hitler dans le sens du poil. L’Etat européen se veut maître après Dieu, mais n’y parvient pas. Le Juif, supra et infra national, à la fois banquier et paria, incarne l’échec des prétentions de l’Etat-nation. «L’un des aspects les plus fascinants de l’histoire juive demeure le fait que les Juifs prirent une part active à l’histoire européenne précisément parce qu’ils étaient un élément inter-européen et non national, dans un monde où seules les nations existaient ou étaient sur le point de naître. Ce rôle fut plus durable et plus essentiel que leur fonction de banquiers des Etats.»

L’Europe chrétienne avait deux fers au feu : la solution «douce» de sa question juive par la ghettoïsation des Juifs réels ou la solution «dure» par leur extermination occasionnelle. L’Europe des Etats hésite de même : soit l’assimilation systématique soit l’annihilation non moins systématique. Le choix entre les deux issues ne dépend aucunement des Juifs réels. Peu importe qu’ils s’élisent bien-pensants ou révolutionnaires, gangsters ou salonnards, ou les deux. Seule compte la situation des Etats, selon qu’ils s’estiment au bord du gouffre ou solides et prépondérants. L’affaire Dreyfus puis la France pétainiste prouvent avec quelle facilité un appareil d’Etat, qui a fait de l’assimilation sa doctrine officielle, bascule, par temps d’orage, dans la haine exterminatrice.

La nouvelle question juive que s’inventent les nations-Etats est une question écran. Derrière elle se profile, inavouable mais lancinante, la question de la mort des collectivités modernes. Et si la «France éternelle» ne l’était pas ? Et si l’Allemagne «über alles» ne planait pas au-dessus de tout ? Et si l’Anglais, qui jure «Right or wrong, my country», avait le tort de sous-estimer le mal que peut produire sa patrie quitte à se ruiner elle-même ? Dans le miroir juif, les sociétés européennes déchiffrent la mortalité possible de leurs immortalités feintes.


Dans le collimateur des terroristes : l’Amérique. Glucksmann analyse le phénomène («du délice d’égorger doucement son otage»), puis aborde l’antiaméricanisme européen. Thème cher à son coeur : le spectre de l’hyperpuissant.

Pourquoi tant de haine ? s’interrogent les Américains. D’où vient l’aversion universelle qui nous entoure ? Faut-il incriminer des maladresses en matière de communication ? Sommes-nous trop durs ? Trop interventionnistes ? Trop mous ? Trop isolationnistes ? Trop occupés à fuir ou trop prompts à revendiquer des responsabilités mondiales qui bon gré mal gré nous incombent ? Quand et comment avons-nous failli ?

Le débat déchire les Etats-Unis et pas seulement en période électorale. Il tourne en rond. Il est biaisé, il repose sur une erreur. En s’interrogeant «Où est ma faute ?», l’Américain suppose que l’objet haï est la cause de la haine alors qu’ici encore la haine précède et prédétermine l’objet qu’elle se fabrique, le sale Juif, la femme impure ou fatale.

Il va de soi que ni les Juifs ni les femmes ni les Américains ne sont des êtres parfaits. Pas plus le reste des humains. Les uns et les autres méritent maintes critiques dont il n’y a pas lieu de s’offusquer. Les uns comme les autres sont faillibles et divers. Mais la haine se laisse repérer en majesté dès qu’elle transcende l’espace des échanges critiques. Elle sait par avance ce qu’il en est. Elle pontifie. Elle juge en toute partialité que la femme, le Juif ou l’Amérique sont intrinsèquement pervers. Ils n’ont pas droit à la parole. En tentant de se justifier, ils ne font que manifester un surcroît d’hypocrisie et de mauvaise foi. Bush est un «menteur». Son «caniche» Blair également. La seule convocation de commissions d’enquête, où leurs faits et gestes sont passés au crible, est reçue par avance comme la preuve d’une culpabilité et non comme un effort de transparence.

Peu importe que les jurys, fifty-fifty opposition démocrate, majorité républicaine, concluent à l’erreur et au dysfonctionnement et qu’ils lavent les deux leaders du soupçon de mensonge organisé. Peu importe sous nos cieux moins enclins à la recherche de la vérité : ils ont été soupçonnés, ils restent coupables, nos tabloïds ou faiseurs d’opinion persistent et titrent «Tricheurs», «Manipulateurs», «Incendiaires» sans points d’interrogation. Toutes les enquêtes du monde n’y changeront rien. Toutes les explications, tous les démentis, toutes les mises au point tombent à l’eau. Non ! Ils n’ont pas menti, non ! On leur a menti, non ! Il ne faut pas confondre erreur d’estimation et mensonge délibéré, autant de nuances qui valent pour alibis et comptent pour du beurre. La vérité est nulle et non avenue. La haine chevauche ses préjugés sans se laisser désarçonner, quand elle accuse, elle n’autorise aucune excuse. Américains, si vous tenez à explorer les gouffres d’où monte cette radicale aversion, cessez un court moment de contempler votre nombril, prenez quelque distance et tournez votre regard sur des anti-Américains blindés de certitudes. Le secret de la haine, il faut le rechercher chez ceux qu’elle anime et enflamme.

Pour l’anti-Américain, l’Américain est mesure de toutes choses. Hors lui rien ne pèse. Ni les crimes de Saddam Hussein. Ni les massacres de l’armée russe en Tchétchénie. Les Américains renvoient à l’angélique Européen, qui les diabolise, une image inversée de lui-même. Ils sont ce qu’il était naguère. Ils croient aux rapports de force, il a passé ce cap. Ils parlent du «mal» avec une incroyable naïveté, alors que lui, Européen, vit par-delà ; un tel fétiche aussi rétrograde n’épouvante que les enfants. Il se marre : sont-ils bêtas ! Ceux qui croient encore à la vérité et au mensonge, à la liberté et à la servitude, n’ont pas compris que toutes ces notions s’entremêlent, autrement complexes, autrement relatives ! Ils construisent quand il déconstruit.

La haine de l’Amérique est une haine de soi. Elle s’inquiète d’un semblable qui régresse dans le passé, elle s’horrifie d’un frère contrefait, elle s’angoisse de tomber nez à nez sur sa propre caricature. Miroir, ô mon horrible miroir, puissé-je ne pas me ressembler et m’abstraire, vêtu d’innocence, d’une histoire de boue et de sang, où les primitifs d’outre-Atlantique s’obstinent à patauger encore.

Mille nuances polychromes agrémentent les subtilités de l’antiaméricanisme européen, une conviction commune les soude : les Américains de ce début de siècle sont «traumatisés». Trois mille d’entre eux volatilisés en quelques minutes, et les voilà captifs d’une date qu’ils ne parviennent pas à réinsérer dans le cours ordinaire du temps, quelque part entre les chiffres des accidents de la route, les victimes de la canicule, les tremblements de terre et les famines africaines.

Pour relativiser les malheurs de Septembre, les Américains devraient emprunter à l’Europe officielle son art désinvolte et parfaitement gracieux de tordre le cou à des souvenirs autrement encombrants. Il suffit de se réunir tous sur un lieu de mémoire en un jour de mémoire, d’y célébrer la naissance d’une conscience mondiale qui promet «jamais plus» et, le traumatisme exorcisé, passer aux affaires courantes. Les Américains ne sont pas initiés aux mystères du travail de deuil et d’un devoir de mémoire qui s’évertue à suturer définitivement les blessures d’un passé dépassé.

La propension des Américains à mobiliser contre un «mal» — totalitarisme puis terrorisme — constitue aux yeux de l’anti-Américain cultivé l’indice d’un indéniable retard mental. Que diantre ! En Europe, on est autrement malin, autrement averti ! Près d’un tiers des Allemands croient que la chute des Twin Towers fut fomentée par la CIA. Ils ont élu best-seller les «révélations» de von Bülow, ancien ministre socialiste qui, à l’instar de Meyssan, best-seller en France, explique à coups d’enquêtes-fictions que les Etats-Unis se sont frappés eux-mêmes pour se rendre service.

Une théorie parente, ornée de nobles atours sociologiques, est professée par des universitaires qui n’ont pas oublié la vulgate marxiste de leurs professeurs ou de leur jeunesse. L’impérialisme, «stade suprême du capitalisme», aurait atteint son comble dans le «global» qui ne saurait manquer, cette fois est la bonne, de devenir son propre fossoyeur ! La même opinion, parée des plumes de la philosophie ou de la médecine, énonce savamment que le «système» produit ses propres virus et qu’ainsi Amerikkke se dévore elle-même, en proie à une crise immunitaire, ou morale, ou géopolitique, ou démographique mais toujours irrémissible, au gré des docteurs je-sais-tout qui se pressent à son chevet.

Peu importe le foisonnement des sophismes, des révélations sans preuves et des suppositions gratuites, puisque la conclusion tombe comme un couperet : le 11 septembre 2001 ne fut qu’un jeu de l’Amérique avec elle-même. Elle n’a pas subi l’assaut d’un mal extérieur. Elle est aux prises avec un monde qu’elle produit et reproduit. Si mal il y a, l’Amérique est ce mal.

Il n’existe pas de fumée sans feu. Tel est pris qui croyait prendre, l’arroseur est arrosé, la victime est le bourreau. Autant de scénarii convenus sur lesquels brode un anti-américanisme qu’on aurait tort de réduire à ces bricolages bavards. Derrière eux se profile une «vision», non plus seulement de l’Amérique mais de la condition humaine, dont le fond théologique apparaît rarement à découvert.


La haine est protéiforme, elle se maquille en tendresse. Insatiable, elle aime à mort :

Aux femmes, elle demande de disparaître sous un voile, de se vouer à l’informe, de s’ensevelir dans le silence, de s’enterrer vivantes. Des Juifs, elle exige qu’ils se fondent dans le paysage, qu’ils parlent pour nier qu’ils sont, qu’ils se suppriment comme autres, puis qu’ils suppriment cette suppression, qu’ils se fassent oublier sous peine qu’on les y aide de manière forte. Quant aux Américains, ils n’ont d’autre issue que de s’afficher tous anti-Américains. Témoin, la campagne électorale de 2004 : le challenger de «Bush, nazi», John Kerry, était élu d’office par tous les anti-Américains de la terre. Il avait beau déclarer son approbation de l’intervention armée en Irak, «même sachant désormais que Saddam ne possédait pas d’armes de destruction massive ? — Oui, même sans ce motif», qu’importe ? C’est tout ou rien. Puisque Bush incarne l’Amerikkke, l’anti-Bush incarne la «bonne Amérique», en attendant de passer à son tour grand épouvantail. La femme doit se suicider en tant que femme, le Juif en tant que Juif, l’Amérique en tant qu’Amérique. Que demande la haine aux objets qu’elle poursuit de son «amour» ? Elle leur demande de se donner la mort. Quitte à appuyer sur la gâchette s’ils rechignent.

Eprouverais-je de la haine pour la haine ? Pas un brin. Je l’ai découverte butée et brutale, mais surtout bête à mourir dans sa volonté originelle de s’égaler à Dieu. Elle décide de l’alpha et l’oméga de la création, elle se croit tout permis, elle coasse et sautille comme une grenouille, s’autorisant de Jupiter tonnant. Les honnêtes gens, les religieux sincères, les réalistes sans illusions ont l’intelligence de leurs limites, ils n’ont pas besoin de haïr la haine pour combattre sa folie meurtrière et sourire de son ridicule.

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