Tuesday, August 24, 2004

Rubin.— L’après-Arafat

Barry Rubin: L’après-Arafat, chronique d’un chaos annoncé
Le Figaro, 23/08/2004.

Yasser Arafat semble avoir, une fois de plus, repoussé les attaques contre son gouvernement. Pourtant cette dernière victoire ne répond pas à la question de savoir ce qu’il adviendra le jour où il quittera enfin la scène politique.

Quand il tomba gravement malade en 2003, les Palestiniens furent pris de panique. Ahmed Dudin, l’ancien leader du Fatah à Hébron, résumait ainsi leur dilemme : «L’Autorité palestinienne a toujours été l’oeuvre d’un seul homme. Arafat n’a jamais vraiment accepté de partager le pouvoir. Voilà le problème.» Non seulement Arafat n’a aucun successeur désigné, mais il a paralysé la création d’institutions qui auraient pu permettre une transition en douceur, la formation de nouveaux dirigeants, la médiation des différends entre les candidats en lice et leurs factions ou le contrôle du pouvoir d’un dictateur potentiel.

Cependant, un jour, Arafat quittera ce monde. Il a 74 ans, et on ne peut pas vraiment dire qu’il est en bonne santé. Sa capacité à symboliser la cause palestinienne dans le monde entier s’est peu à peu épuisée, mais quiconque lui succéderait ne serait encore qu’un obscur inconnu.

Qu’adviendra-t-il alors si la transition au sein du mouvement palestinien est précipitée par sa disparition ? La meilleure approche dans un tel cas n’est pas de savoir qui le remplacera mais bien plutôt quoi. Dans un certain sens, Arafat représente l’Autorité palestinienne. Comme le disait un membre du Fatah favorable à la réforme : «C’est ça, le narcissisme d’Arafat. Et nous en souffrons tous. Et j’ai bien peur que le peuple palestinien en souffre encore même après sa mort.»

Alors que les Palestiniens disposent d’une direction collective, en réalité c’est Arafat qui détient un pouvoir écrasant. Il a été, dans les faits, l’unique leader du mouvement palestinien depuis le jour où il le fonda en 1959. D’autres candidats, tels Abou Jihad et Abou Iyad, furent assassinés, et Faissal Al Husseini, le seul leader d’importance qui soit monté dans la hiérarchie en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, est mort jeune.

Certains soutiennent que la seule alternative évidente à Arafat reste la démocratie. Toutefois le dénouement le plus probable risque d’être une direction instable et sans efficacité, une division du pouvoir en fiefs ou un degré d’anarchie élevé.

Le départ d’Arafat ne ravivera pas davantage l’espoir d’un règlement politique avec Israël. Il est vrai qu’Arafat refuse d’entériner des compromis essentiels sur des questions aussi graves que la légitimité d’Israël et les frontières de la Palestine, et que cela a toujours été une cause importante dans l’échec de la résolution des conflits israélo-palestiniens ou israélo-arabes. Étant donné la stature d’Arafat et le contrôle qu’il exerce sur le mouvement, il aurait pu simplifier les exigences palestiniennes pour accepter un État n’occupant que partiellement la Palestine historique. Mais il n’a jamais sauté le pas et les problèmes principaux sont restés sans solution.

Le problème est que, même si les futurs dirigeants palestiniens veulent résoudre les problèmes qui bloquent le processus de paix avec Israël, cela leur sera bien plus difficile qu’il ne l’aurait été pour Arafat. Sous le long règne d’Arafat, des générations entières de Palestiniens ont été endoctrinées avec la conviction que seule la victoire totale était acceptable.

En effet, au-delà de la politique au jour le jour, Arafat a organisé le style psycho-politique et intellectuel du mouvement palestinien de manière dogmatique et inflexible. L’héritage d’Arafat est donc celui d’une culture politique où le leader peut faire accepter des tactiques, des stratégies ou des solutions désastreuses comme des victoires et être cru. L’acceptation de la violence sans limite sera la caractéristique la plus dévastatrice de l’héritage d’Arafat. De nombreux mouvements à travers l’histoire ont utilisé la violence, mais peu sont parvenus à la justifier et à l’idéaliser si profondément.

Comment un quelconque successeur, dont la légitimité sera moindre que celle d’Arafat, pourra-t-il échapper à la justification de cette violence ? Des groupes entiers, le Hamas, la Jihad islamique, les Brigades des martyrs d’al-Aqsa du Fatah, et leurs leaders, doivent leur puissance à leur volonté de tuer des Israéliens, ce qui est devenu la mesure par excellence de leur puissance politique. Tout effort des autorités de sécurité palestiniennes pour mettre fin à ces groupes par la force ne mènerait qu’à des violences supplémentaires.

Arafat a créé le consensus en construisant l’unité politique sur le mythe d’une société palestinienne préalable à 1948, idéalisée, que l’on pourrait «recréer» sur la base du «droit au retour» et de la disparition d’Israël. Ces objectifs ne se réaliseront jamais, mais ils n’ont jamais non plus été soumis à la «fin de l’occupation», de sorte qu’ils forment le ciment du nationalisme palestinien.

Dans les circonstances cruciales d’aujourd’hui, l’émergence d’un nouveau leader palestinien prendra probablement des années. Durant cet interrègne, nous devons nous attendre au verrouillage, à l’anarchie ou à la guerre civile.

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