Saturday, August 14, 2004

Declerck.— Odio l’islam

Patrick Declerck: Je hais l’islam, entre autres...
Le Monde, 11/08/2004.

Kant rendait hommage à Hume pour l’avoir éveillé de ses années de somnolence dogmatique. Mais s’il était une somnolence dogmatique particulière à la démocratie ? Mais si la démocratie, au-delà de ses institutions politiques, avait la propriété sournoise et insidieuse de créer, de par ses prolongements idéologiques, un effet opiacé, soporifique ? Une douce sidération de la pensée ? Quelque chose comme l’équivalent de l’incision des lobes frontaux, laissant le sujet citoyen plaisamment semi-conscient, mollement béat. Mais si la démocratie était en fin de compte aussi une maladie mentale ?

Ainsi, par exemple, la proposition : “Je hais l’islam.” Voilà bien quelque chose qui, en bonne compagnie, ne se dit pas. Et ce pour plusieurs raisons, qu’ânonnent, dans un bel ensemble, les boy-scouts de tout bord.

D’abord, en ces temps de tolérance programmatique et de vacuité d’un respect exigé a priori, “haïr” ne se fait plus. C’est même pratiquement illégal. Et d’un laisser-aller des plus odieux... Ainsi, nos dogmes politico-religieux — et la démocratie a placé l’homme à la place très exacte qu’occupait la divinité dans l’ancienne architectonique de la théologie chrétienne — nous interdisent de penser l’ennemi, de le concevoir, de se le représenter. Bref de le haïr.

Un bel esprit, bien scrupuleusement de centre gauche, annonçait récemment qu’il n’avait pas d’ennemis. Enfant ! Comme si le choix était possible, comme si l’ennemi était subjectif... La subjectivité, l’affect, l’émotion, voilà aujourd’hui ce qui, pour les démocrates, tient lieu de pensée.

Aussi la question se pose : la démocratie permet-elle, dans son fondement, dans son essence même, qu’existe encore un fait ? Un fait objectif ? Que subsiste, quelque part, l’heuristique morsure du principe de réalité ? Non. Non, car la démocratie n’est in fine que le dernier masque avili et souillé du christianisme, cette vieille consolation des esclaves de Rome. Cette religion fondée par un homme tellement affolé par la perspective du conflit œdipien face à un père réel qu’il alla jusqu’à s’imaginer, malheureux psychotique, un père céleste... Or “la guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain. Ce n’est pas votre pitié mais votre vaillance qui jusqu’à présent a sauvé les malheureux.” Ainsi parlait Nietzsche ! Ainsi parlait Zarathoustra ! Ainsi parlait la virilité !

En attendant, en face, on s’organise. On s’organise, on planifie, on égorge et on décapite... Je hais l’islam... Mais on ne critique pas l’islam. Ou alors, seulement avec une très prudente obséquiosité et mille précautions langagières. En s’entortillant, confus, dans la périphrase, le néologisme et la litote : ce n’est pas d’islam, mais d’islamisme qu’il s’agirait. Pas de religion, mais de fanatisme. Pas de contre-racisme, mais de communautarisme...

Et l’on se tourne vers les discutables secours des recoins de l’histoire. Morceaux soigneusement choisis. De l’islam, on vante avec nostalgie le passé brillant. On exhume l’un ou l’autre érudit, de préférence sourd, aveugle et sénile. Ça ne manque pas. On le dépoussière rapidement. Et on lui fait rappeler fort à propos que, cependant, Avicenne, au XIe siècle...

Très drôle vraiment ! Un peu comme si Erasme, More et Montaigne effaçaient, de par leur seule grandeur, le scandale des guerres de religions interchrétiennes ou celui de quatre siècles de livres mis à l’Index par l’Eglise de ces catholiques, forts récents champions de la tolérance tout-terrain. Et fort récents parce que, faut-il le rappeler, fort récemment contraints à le devenir...

Les religions sont des névroses de l’humanité, disait Freud. Mais il est, n’en déplaise, névrose et névrose... Le judaïsme tend à la névrose obsessionnelle : le rite pour le rite. Au cœur du christianisme se tapit l’espoir anxieux de noyer le pulsionnel dans un indifférencié asexué : l’amour christique, cette tisane tiède... L’islam, lui, tend à rendre fou parce qu’il instaure un partage entre les sexes extraordinairement et spécifiquement pathologique : une horreur et une terreur de la femme et de sa jouissance sexuelle fantasmée comme toute-puissante.

Face à cette dernière, il ne reste d’autre solution à l’homme que l’oppression farouche de toute féminité. Oppression d’autant plus radicale qu’elle a pour fonction première de recouvrir de son voile phobique le vertige secret, intime, muet, mais omniprésent, de l’impuissance masculine et de son éternel compagnon, la répulsion-tentation de l’homosexualité latente... D’où la nécessité aussi de l’alliance érotisée et défensive des “frères” de l’islam. Devant les hallucinatoires menaces du vagin denté, la sécurité et la fuite résident dans le nombre. Ainsi, pour se protéger, l’homme musulman vit-il en banc. Comme les petits poissons...

Je hais le fait religieux en général, parce qu’il aliène l’homme en lui faisant prendre des messies pour des lanternes. Je hais l’islam en particulier, parce que l’islam est un système d’oppression tragique des deux sexes.

En attendant, en face, on s’organise. On s’organise, on planifie, on égorge et on décapite... J’entends bien qu’indiscutablement une majorité de musulmans désapprouvent ces actes. Pourtant je persiste à haïr l’islam, parce qu’en tant que système de pensée et d’être au monde il permet la guerre sainte. Il permet la charia.

L’égorgement et la décapitation y sont toujours présents, ne serait-ce qu’en tant que possibilité structurelle, car il est au cœur de l’islam, un topos pour cela. Tout comme la pensée tardive de Marx abrite, en son sein, la pérenne potentialité des affres des dictatures prolétariennes. Tout comme le christianisme est inextricablement, consubstantiellement vérolé d’antisémitisme...

Cette haine de l’islam, je revendique publiquement le droit de l’exprimer. Publiquement. Quitte éventuellement à transgresser, oui, les lois de la République. Car dénoncer aujourd’hui les féroces imbécillités des croyances religieuses est plus qu’un plaisir, c’est un devoir. Et un honneur. Celui de montrer qu’il est possible d’exister debout, sans béquilles et sans illusions.

En ces temps où, une nouvelle fois, la religion fait la guerre, il urge de revendiquer encore, et toujours, et hautement, la dignité supérieure de l’homme sans dieu.

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