Adler.— Chavez = Peron + Guevara
Alexandre Adler: Chavez, mi-Peron et mi-Guevara
Le Figaro, 18/08/2004.
La victoire du semi-Caudillo vénézuélien Hugo Chavez est un tournant de l’histoire politique de l’Amérique latine. Même amplifiée par des fraudes et des bourrages d’urnes, elle est néanmoins incontestable. Mais, comme la langue d’Esope, cette victoire du populisme créole est à la fois la pire et la meilleure des choses.
Commençons par le pire : l’Argentine — qui, dans ce domaine comme dans bien d’autres, a servi de laboratoire à tout le continent austral — a engendré, du temps de sa fragile prospérité, deux aberrations idéologiques durables : le péronisme et le guévarisme. Opposées en apparence, puisque Peron était un fasciste sympathisant actif de Mussolini et d’Hitler tandis que Guevara était, en tant qu’élève du grand avocat de gauche Silvio Frondizi, un semi-trotskiste à la recherche d’une révolution latino-américaine originale, les deux idéologies se sont pourtant rencontrées sur l’essentiel. Toutes deux se fondent sur l’exécration du modèle de liberté nord-américain. C’est d’ailleurs la diplomatie argentine qui aura constamment, de 1930 à 1980, opposé un veto immarcescible à toutes les propositions venues de Washington de bâtir une communauté des deux Amériques au départ contre Hitler, à l’arrivée pour étendre le libéralisme économique.
Ce syndrome argentin était à la fois l’expression d’«un embarras de richesses» et d’une émergence encore trop brutale de pouvoir populaire. L’Argentine du début des années 40 est en effet un pays au fait de la puissance économique apparente, car la guerre a valorisé considérablement les exportations de produits alimentaires qui proviennent d’une sorte de ferme collective, la pampa, probablement la plus performante de la planète, tandis que la même guerre, rendant plus difficiles les arrivées de produits industriels d’Europe et d’Amérique, a également permis une substitution d’importations qui a permis une croissance vertigineuse de l’industrie nationale. Dans ces conditions, la tentation sera forte de redistribuer à l’aveuglette les bénéfices de cette conjoncture exceptionnelle en faveur notamment des plus démunis, ceux qu’Evita Peron appellera avec bonheur les «sans chemise», les «descamisados».
Mais le péronisme est aussi l’expression d’une montée, sans cristallisation démocratique, d’une force populaire autochtone. Dans un pays où les oligarchies terriennes, qui se proclament comme partout en Amérique latine libérales ou conservatrices, dominaient sans partage le processus politique, l’irruption de Peron lui vaut le ralliement d’un peuple avide de justice sociale, et plus encore de prise de parole, mais dépourvu d’éducation politique véritable et d’organisations politiques solides : entre 1943 et 1945 le Parti socialiste explose, l’essentiel de sa base syndicale se ralliant au fascisme social de Peron, tandis que communistes et radicaux sont durablement marginalisés. Le jeune Che Guevara, issu d’une famille d’intellectuels de gauche, ne partage pas l’idéologie péroniste mais en conservera toutes les illusions : anti-américanisme fanatique dans lequel il poussera un Fidel Castro, lui aussi élevé dans ce culte barbare par un père espagnol et franquiste, vaincu de la guerre de 1898, populisme foncier faisant peu de cas du marxisme véritable des petits partis communistes jugés trop réformistes, mais surtout mépris de fer pour les difficultés de la production.
Même dans l’effervescence de la révolution cubaine, ces idées plus que courtes finiront par entraîner le limogeage du beau barbu argentin par Fidel Castro lui-même et pousseront le malheureux vers les forêts profondes, d’abord au Congo et pour finir en Bolivie, où il trouvera la mort de manière plus lamentable qu’héroïque au moment même où — 1967 — le beau Peron, bien requinqué par son exil chez Franco, commençait à tisser le réseau serré de ses indécrottables partisans qui allaient lui permettre trois ans plus tard un retour triomphal à Buenos Aires.
Chavez est le résultat d’une synthèse particulièrement perverse de ces deux mouvements pulsionnels nés de la grande détresse argentine : il est péroniste car, comme son maître, c’est un militaire autoritaire et putschiste ainsi que le sont souvent en Amérique du Sud ces officiers qui n’ont jamais fait la guerre qu’à leur propre peuple (seul le Brésil et le Mexique auront participé à la Seconde Guerre mondiale au côté de l’allié américain). Tout comme Peron encore, Chavez, après une tentative infructueuse de coup d’Etat pur, s’impose à un système démocratique sclérotique et exsangue, où les radicaux argentins ont ici pour équivalents l’Action démocratique, un parti de type social-démocrate européen qui fut grand sous son fondateur Romulo Betancourt, et les conservateurs une formation démocrate-chrétienne, le Copei, dont les dirigeants finirent dans les années 80 par adopter le même programme populiste inepte que leurs adversaires du centre gauche.
C’est ici que l’on retrouve le guévarisme de Chavez : si Peron avait pris l’Argentine en 1943, avec toutes les facilités que cela lui permit initialement et le ralliement enthousiaste d’une partie des classes moyennes, Chavez, lui, est plébiscité au bas de la pente en 1995 alors que la dépression de la rente pétrolière a profondément érodé la société vénézuélienne. La gauche du pays quant à elle est profondément divisée et le demeure à ce jour, tout comme l’était le Parti socialiste argentin de 1945. Le communisme vénézuélien a éclaté dès la fin des années 60 entre partisans de la lutte armée, immobilistes prosoviétiques et partisans de la démocratie qui, condamnant l’intervention soviétique à Prague, constituent, à l’apogée de la démocratie et de la prospérité vénézuéliennes, le MAS (Mouvement pour le socialisme, mais aussi adverbe espagnol qui signifie «davantage»).
On ne sera pas surpris de constater qu’une moitié des fondateurs du MAS, les plus démocrates, sont à la tête du mouvement anti-Chavez tandis que l’autre moitié, la plus démagogique, a embrassé le chavisme avec enthousiasme. Chavez, en effet, tient un discours essentiellement de gauche : réforme agraire qui ici touche en les spoliant non les propriétaires absentéistes d’autrefois mais une agriculture productiviste de paysans moyens ; redistribution sans progrès de la productivité de ce qui reste de la rente pétrolière sous forme de cadeaux sans lendemain, tandis que s’effritent tous les jours les infrastructures du pays ; contingentement et réglementation des exportations industrielles et agricoles déjà faibles, en partie pour ruiner délibérément le monde des entrepreneurs foncièrement hostiles au chef. Qu’importe, le pétrole paiera, comme les cigares et le sucre devaient payer quand Guevara était le tsar de l’économie cubaine.
Voilà pour les mauvaises choses : la victoire nette de Chavez est la confirmation de la force du populisme qui balaie aujourd’hui toute l’Amérique du Sud. Même la Colombie de droite et le Chili de centre gauche, qui sont encore épargnés par le cyclone, ne manqueront pas d’en être affectés. Chavez, vainqueur aujourd’hui, c’est pour reprendre Barbey d’Aurevilly : «Le bonheur dans le crime.»
Mais il y a aussi un bon côté dans cette affaire : c’est le triomphe de la diplomatie brésilienne qui, patiemment, est à la recherche d’une voie non antagoniste d’indépendance des Etats-Unis ; tout oppose en effet le régime de Lula et celui de Chavez. Chez les dirigeants brésiliens du Parti des travailleurs, on ne trouve aucun excès économique, peut-être même parfois trop d’orthodoxie financière, aucun populisme irresponsable, aucune démagogie en matière de réforme agraire, aucune apologie du protectionnisme industriel et, bien que cela soit un élément secondaire, pas trace de l’antisémitisme populiste que Chavez a contracté au contact de ses interlocuteurs les plus extrémistes dans l’Opep.
Et pourtant le régime brésilien ne peut pas non plus se permettre de voir le Venezuela rebasculer dans le camp américain, soit sous l’impact d’une guerre civile froide débouchant sur une victoire électorale de l’opposition, soit a fortiori sous le choc d’un coup d’Etat militaire sur le modèle de celui qui a échoué de justesse il y a deux ans. Cela tombe bien, les Etats-Unis aussi ne souhaitent pas à présent une défaite trop large de Chavez. Dans l’état de tension où se trouve le marché pétrolier, mieux vaut pour Washington disposer d’un approvisionnement pétrolier régulier du Venezuela que d’un pays en guerre civile qui contribuera ipso facto à la tension à la hausse du pétrole induite durablement par la situation au Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle l’Administration Bush et l’ambassadeur Shapiro à Caracas ont accompagné, sans mauvaise volonté excessive, le compromis élaboré par les Brésiliens avec lesquels ils siègent dans un comité baptisé, pour la bonne cause, Les Amis du Venezuela. Les Américains n’avaient plus qu’une exigence : que Chavez organise le référendum de révocation qui a constitué une sorte de présidentielle anticipée. Les Brésiliens ont obtenu en échange le lâchage par Washington de l’opposition vénézuélienne et l’absence totale de pression sur Caracas.
Leur victoire est certes celle du populisme, mais aussi d’un processus électoral à peu près limpide. Malgré le désir évident à l’entendre qu’éprouve Chavez, le gorille bolivarien ainsi remis en selle, de confisquer le pouvoir, la perspective de voir une dictature rouge-brune, étroitement alliée à Cuba, s’instaurer au Venezuela s’éloigne ; de même que s’éloigne le soutien vénézuélien aux guérillas communistes colombiennes, dont le président Uribe a obtenu le repli stratégique durant son mandat. Dans ces conditions s’esquisse une nouvelle architecture du continent austral : un populisme de gauche pas toujours très tempéré et foncièrement hostile aux Etats-Unis, mais aussi un respect encore précaire mais probablement définitif des procédures démocratiques. Un tel équilibre, fragile encore, vaut bien une messe trotskiste à Brasilia. Mais attention, tout repose ici sur le rôle civilisateur du Brésil qui hérite curieusement, à l’échelle de toute l’Amérique du Sud, du rôle dont Fernand Braudel rêvait pour le Portugal à l’échelle de la péninsule Ibérique sous Philippe II : inculquer à des peuples hispaniques plus intolérants et plus violents la douce mélancolie lusitanienne de ceux qui n’ont jamais été réticents à mêler leur sang et à cultiver un laïcisme improbable mais hédoniste.
Addenda.
La comunidad catalana ha empezado a hacer las maletas para irse del país
“Ahora viene la desbandada en Venezuela”
“Venezuela expulsa ahora a los más preparados”, dice el presidente del Centre Català de Caracas
JOAQUIM IBARZ - Caracas. Enviado especial
La Vanguardia, 19/08/2004.
La comunidad catalana en Venezuela ha empezado a hacer maletas para abandonar el país. En dos años, 105 socios del Centre Català (unas 500 personas si se cuentan sus familias) se han ido porque no ven futuro bajo el Gobierno de Hugo Chávez. Lo mismo sucede en otros centros regionales españoles.Tras el cuestionado referéndum del pasado domingo, el éxodo se acentuará. Se marchan los que tienen recursos para irse, que cada vez son menos, porque la clase media está cada vez más empobrecida.
“Ahora viene la desbandada. Los que puedan se van a marchar. Con este Gobierno no hay vida económica, política, ni social. Tenemos la moral por el suelo. El principal mal es la inseguridad y el temor a un régimen totalitario”, señala Valentín Sánchez, un socio del Centre Català que planea abandonar Venezuela junto a su familia próximamente, tras haber tenido que cerrar su fábrica.
Venezuela, que entre los cincuenta y los setenta recibió a millones de emigrantes españoles y de otras nacionalidades, hoy expulsa a miles de jóvenes, profesionales, comerciantes, industriales, que ya no creen en su país. Ahora empiezan a marchar venezolanos que inician la vida del emigrante ilegal. Según datos del Ministerio del Interior español, en el 2003 un total de 60.000 venezolanos visitaron nuestro país, de los cuales sólo 12.000 utilizaron el billete de vuelta. Es decir, sólo el año pasado se quedaron en España unos 48.000 venezolanos sin papeles, a los que hay que agregar los miles con pasaporte español que no se contabilizan cuando llegan a España. Fuentes de la legación española en Caracas afirman que 60.000 venezolanos se informaron para nacionalizarse españoles: 10.000 personas ya lo han conseguido.
Los que se marchan son de clase media o media alta. Al contrario de lo que sucede en los otros países andinos, el venezolano pobre –el 75% de la población del país– no se mueve de casa. Confía en que Chávez le proveerá de lo esencial. En el Centre Català de Caracas se percibe una profunda tristeza, frustración, incertidumbre. Emili Soriano, presidente del centro, comenta: “Cuando un socio se marcha, te entra congoja. Te dicen que se van por problemas económicos, por inseguridad, por no ver futuro. El país de las oportunidades expulsa a la gente más preparada. Nos han robado el país. Venezuela aguanta porque ingresa unos 100 millones de euros diarios del petróleo. Pero ese dinero se malgasta en populismo”.
Valentín Sánchez señala que la desmoralización es tan grande que ni ha tenido ganas de celebrar el cumpleaños de su esposa, al tiempo que recuerda que “dentro de un mes habrá elecciones regionales”. “Nadie de la oposición votará –añade–, porque vemos que no sirve para nada. Harán todas las trampas que sean necesarias para que Chávez se quede en el poder, quién sabe si los 20 años que él dijo”.Montserrat Mogas nos dice de entrada: Estem fotuts! La vicepresidenta del Centre Català dice que siente “desesperación” porque “poco a poco, se va afianzado un modelo totalitario, diferente al cubano pero cada vez más parecido: ya tenemos miles de médicos, maestros, entrenadores deportivos; los cubanos controlarán el país”.
A Mónica Peña Carbonell, docente, se le humedecen los ojos al decirnos que la mitad de sus amigos, catalanes o no catalanes, ya se han ido del país. “La mayoría se va porque no quieren que sus hijos crezcan en un régimen totalitario. Siento angustia, una profunda tristeza, indignación. En este referéndum hemos sido robados, vejados”. Otra socia, Teresita Girau, dice: “Los chavistas hacen lo que les da la gana, con total impunidad. Han pisoteado a la colectividad, a la dignidad, a la moral. Fuimos con alegría y entusiasmo a votar, pero vemos que todos los poderes están al servicio de Chávez. Somos víctimas de un fraude muy astuto. No tenía ningún proyecto de irme de Venezuela, pero ahora me lo planteo porque tengo dos hijos que quiero que vivan en libertad. Chávez habla de profundizar la revolución. ¿Qué quiere decir? ¿Implantar una dictadura como en Cuba? Estoy muy angustiada”.
Le Figaro, 18/08/2004.
La victoire du semi-Caudillo vénézuélien Hugo Chavez est un tournant de l’histoire politique de l’Amérique latine. Même amplifiée par des fraudes et des bourrages d’urnes, elle est néanmoins incontestable. Mais, comme la langue d’Esope, cette victoire du populisme créole est à la fois la pire et la meilleure des choses.
Commençons par le pire : l’Argentine — qui, dans ce domaine comme dans bien d’autres, a servi de laboratoire à tout le continent austral — a engendré, du temps de sa fragile prospérité, deux aberrations idéologiques durables : le péronisme et le guévarisme. Opposées en apparence, puisque Peron était un fasciste sympathisant actif de Mussolini et d’Hitler tandis que Guevara était, en tant qu’élève du grand avocat de gauche Silvio Frondizi, un semi-trotskiste à la recherche d’une révolution latino-américaine originale, les deux idéologies se sont pourtant rencontrées sur l’essentiel. Toutes deux se fondent sur l’exécration du modèle de liberté nord-américain. C’est d’ailleurs la diplomatie argentine qui aura constamment, de 1930 à 1980, opposé un veto immarcescible à toutes les propositions venues de Washington de bâtir une communauté des deux Amériques au départ contre Hitler, à l’arrivée pour étendre le libéralisme économique.
Ce syndrome argentin était à la fois l’expression d’«un embarras de richesses» et d’une émergence encore trop brutale de pouvoir populaire. L’Argentine du début des années 40 est en effet un pays au fait de la puissance économique apparente, car la guerre a valorisé considérablement les exportations de produits alimentaires qui proviennent d’une sorte de ferme collective, la pampa, probablement la plus performante de la planète, tandis que la même guerre, rendant plus difficiles les arrivées de produits industriels d’Europe et d’Amérique, a également permis une substitution d’importations qui a permis une croissance vertigineuse de l’industrie nationale. Dans ces conditions, la tentation sera forte de redistribuer à l’aveuglette les bénéfices de cette conjoncture exceptionnelle en faveur notamment des plus démunis, ceux qu’Evita Peron appellera avec bonheur les «sans chemise», les «descamisados».
Mais le péronisme est aussi l’expression d’une montée, sans cristallisation démocratique, d’une force populaire autochtone. Dans un pays où les oligarchies terriennes, qui se proclament comme partout en Amérique latine libérales ou conservatrices, dominaient sans partage le processus politique, l’irruption de Peron lui vaut le ralliement d’un peuple avide de justice sociale, et plus encore de prise de parole, mais dépourvu d’éducation politique véritable et d’organisations politiques solides : entre 1943 et 1945 le Parti socialiste explose, l’essentiel de sa base syndicale se ralliant au fascisme social de Peron, tandis que communistes et radicaux sont durablement marginalisés. Le jeune Che Guevara, issu d’une famille d’intellectuels de gauche, ne partage pas l’idéologie péroniste mais en conservera toutes les illusions : anti-américanisme fanatique dans lequel il poussera un Fidel Castro, lui aussi élevé dans ce culte barbare par un père espagnol et franquiste, vaincu de la guerre de 1898, populisme foncier faisant peu de cas du marxisme véritable des petits partis communistes jugés trop réformistes, mais surtout mépris de fer pour les difficultés de la production.
Même dans l’effervescence de la révolution cubaine, ces idées plus que courtes finiront par entraîner le limogeage du beau barbu argentin par Fidel Castro lui-même et pousseront le malheureux vers les forêts profondes, d’abord au Congo et pour finir en Bolivie, où il trouvera la mort de manière plus lamentable qu’héroïque au moment même où — 1967 — le beau Peron, bien requinqué par son exil chez Franco, commençait à tisser le réseau serré de ses indécrottables partisans qui allaient lui permettre trois ans plus tard un retour triomphal à Buenos Aires.
Chavez est le résultat d’une synthèse particulièrement perverse de ces deux mouvements pulsionnels nés de la grande détresse argentine : il est péroniste car, comme son maître, c’est un militaire autoritaire et putschiste ainsi que le sont souvent en Amérique du Sud ces officiers qui n’ont jamais fait la guerre qu’à leur propre peuple (seul le Brésil et le Mexique auront participé à la Seconde Guerre mondiale au côté de l’allié américain). Tout comme Peron encore, Chavez, après une tentative infructueuse de coup d’Etat pur, s’impose à un système démocratique sclérotique et exsangue, où les radicaux argentins ont ici pour équivalents l’Action démocratique, un parti de type social-démocrate européen qui fut grand sous son fondateur Romulo Betancourt, et les conservateurs une formation démocrate-chrétienne, le Copei, dont les dirigeants finirent dans les années 80 par adopter le même programme populiste inepte que leurs adversaires du centre gauche.
C’est ici que l’on retrouve le guévarisme de Chavez : si Peron avait pris l’Argentine en 1943, avec toutes les facilités que cela lui permit initialement et le ralliement enthousiaste d’une partie des classes moyennes, Chavez, lui, est plébiscité au bas de la pente en 1995 alors que la dépression de la rente pétrolière a profondément érodé la société vénézuélienne. La gauche du pays quant à elle est profondément divisée et le demeure à ce jour, tout comme l’était le Parti socialiste argentin de 1945. Le communisme vénézuélien a éclaté dès la fin des années 60 entre partisans de la lutte armée, immobilistes prosoviétiques et partisans de la démocratie qui, condamnant l’intervention soviétique à Prague, constituent, à l’apogée de la démocratie et de la prospérité vénézuéliennes, le MAS (Mouvement pour le socialisme, mais aussi adverbe espagnol qui signifie «davantage»).
On ne sera pas surpris de constater qu’une moitié des fondateurs du MAS, les plus démocrates, sont à la tête du mouvement anti-Chavez tandis que l’autre moitié, la plus démagogique, a embrassé le chavisme avec enthousiasme. Chavez, en effet, tient un discours essentiellement de gauche : réforme agraire qui ici touche en les spoliant non les propriétaires absentéistes d’autrefois mais une agriculture productiviste de paysans moyens ; redistribution sans progrès de la productivité de ce qui reste de la rente pétrolière sous forme de cadeaux sans lendemain, tandis que s’effritent tous les jours les infrastructures du pays ; contingentement et réglementation des exportations industrielles et agricoles déjà faibles, en partie pour ruiner délibérément le monde des entrepreneurs foncièrement hostiles au chef. Qu’importe, le pétrole paiera, comme les cigares et le sucre devaient payer quand Guevara était le tsar de l’économie cubaine.
Voilà pour les mauvaises choses : la victoire nette de Chavez est la confirmation de la force du populisme qui balaie aujourd’hui toute l’Amérique du Sud. Même la Colombie de droite et le Chili de centre gauche, qui sont encore épargnés par le cyclone, ne manqueront pas d’en être affectés. Chavez, vainqueur aujourd’hui, c’est pour reprendre Barbey d’Aurevilly : «Le bonheur dans le crime.»
Mais il y a aussi un bon côté dans cette affaire : c’est le triomphe de la diplomatie brésilienne qui, patiemment, est à la recherche d’une voie non antagoniste d’indépendance des Etats-Unis ; tout oppose en effet le régime de Lula et celui de Chavez. Chez les dirigeants brésiliens du Parti des travailleurs, on ne trouve aucun excès économique, peut-être même parfois trop d’orthodoxie financière, aucun populisme irresponsable, aucune démagogie en matière de réforme agraire, aucune apologie du protectionnisme industriel et, bien que cela soit un élément secondaire, pas trace de l’antisémitisme populiste que Chavez a contracté au contact de ses interlocuteurs les plus extrémistes dans l’Opep.
Et pourtant le régime brésilien ne peut pas non plus se permettre de voir le Venezuela rebasculer dans le camp américain, soit sous l’impact d’une guerre civile froide débouchant sur une victoire électorale de l’opposition, soit a fortiori sous le choc d’un coup d’Etat militaire sur le modèle de celui qui a échoué de justesse il y a deux ans. Cela tombe bien, les Etats-Unis aussi ne souhaitent pas à présent une défaite trop large de Chavez. Dans l’état de tension où se trouve le marché pétrolier, mieux vaut pour Washington disposer d’un approvisionnement pétrolier régulier du Venezuela que d’un pays en guerre civile qui contribuera ipso facto à la tension à la hausse du pétrole induite durablement par la situation au Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle l’Administration Bush et l’ambassadeur Shapiro à Caracas ont accompagné, sans mauvaise volonté excessive, le compromis élaboré par les Brésiliens avec lesquels ils siègent dans un comité baptisé, pour la bonne cause, Les Amis du Venezuela. Les Américains n’avaient plus qu’une exigence : que Chavez organise le référendum de révocation qui a constitué une sorte de présidentielle anticipée. Les Brésiliens ont obtenu en échange le lâchage par Washington de l’opposition vénézuélienne et l’absence totale de pression sur Caracas.
Leur victoire est certes celle du populisme, mais aussi d’un processus électoral à peu près limpide. Malgré le désir évident à l’entendre qu’éprouve Chavez, le gorille bolivarien ainsi remis en selle, de confisquer le pouvoir, la perspective de voir une dictature rouge-brune, étroitement alliée à Cuba, s’instaurer au Venezuela s’éloigne ; de même que s’éloigne le soutien vénézuélien aux guérillas communistes colombiennes, dont le président Uribe a obtenu le repli stratégique durant son mandat. Dans ces conditions s’esquisse une nouvelle architecture du continent austral : un populisme de gauche pas toujours très tempéré et foncièrement hostile aux Etats-Unis, mais aussi un respect encore précaire mais probablement définitif des procédures démocratiques. Un tel équilibre, fragile encore, vaut bien une messe trotskiste à Brasilia. Mais attention, tout repose ici sur le rôle civilisateur du Brésil qui hérite curieusement, à l’échelle de toute l’Amérique du Sud, du rôle dont Fernand Braudel rêvait pour le Portugal à l’échelle de la péninsule Ibérique sous Philippe II : inculquer à des peuples hispaniques plus intolérants et plus violents la douce mélancolie lusitanienne de ceux qui n’ont jamais été réticents à mêler leur sang et à cultiver un laïcisme improbable mais hédoniste.
Addenda.
La comunidad catalana ha empezado a hacer las maletas para irse del país
“Ahora viene la desbandada en Venezuela”
“Venezuela expulsa ahora a los más preparados”, dice el presidente del Centre Català de Caracas
JOAQUIM IBARZ - Caracas. Enviado especial
La Vanguardia, 19/08/2004.
La comunidad catalana en Venezuela ha empezado a hacer maletas para abandonar el país. En dos años, 105 socios del Centre Català (unas 500 personas si se cuentan sus familias) se han ido porque no ven futuro bajo el Gobierno de Hugo Chávez. Lo mismo sucede en otros centros regionales españoles.Tras el cuestionado referéndum del pasado domingo, el éxodo se acentuará. Se marchan los que tienen recursos para irse, que cada vez son menos, porque la clase media está cada vez más empobrecida.
“Ahora viene la desbandada. Los que puedan se van a marchar. Con este Gobierno no hay vida económica, política, ni social. Tenemos la moral por el suelo. El principal mal es la inseguridad y el temor a un régimen totalitario”, señala Valentín Sánchez, un socio del Centre Català que planea abandonar Venezuela junto a su familia próximamente, tras haber tenido que cerrar su fábrica.
Venezuela, que entre los cincuenta y los setenta recibió a millones de emigrantes españoles y de otras nacionalidades, hoy expulsa a miles de jóvenes, profesionales, comerciantes, industriales, que ya no creen en su país. Ahora empiezan a marchar venezolanos que inician la vida del emigrante ilegal. Según datos del Ministerio del Interior español, en el 2003 un total de 60.000 venezolanos visitaron nuestro país, de los cuales sólo 12.000 utilizaron el billete de vuelta. Es decir, sólo el año pasado se quedaron en España unos 48.000 venezolanos sin papeles, a los que hay que agregar los miles con pasaporte español que no se contabilizan cuando llegan a España. Fuentes de la legación española en Caracas afirman que 60.000 venezolanos se informaron para nacionalizarse españoles: 10.000 personas ya lo han conseguido.
Los que se marchan son de clase media o media alta. Al contrario de lo que sucede en los otros países andinos, el venezolano pobre –el 75% de la población del país– no se mueve de casa. Confía en que Chávez le proveerá de lo esencial. En el Centre Català de Caracas se percibe una profunda tristeza, frustración, incertidumbre. Emili Soriano, presidente del centro, comenta: “Cuando un socio se marcha, te entra congoja. Te dicen que se van por problemas económicos, por inseguridad, por no ver futuro. El país de las oportunidades expulsa a la gente más preparada. Nos han robado el país. Venezuela aguanta porque ingresa unos 100 millones de euros diarios del petróleo. Pero ese dinero se malgasta en populismo”.
Valentín Sánchez señala que la desmoralización es tan grande que ni ha tenido ganas de celebrar el cumpleaños de su esposa, al tiempo que recuerda que “dentro de un mes habrá elecciones regionales”. “Nadie de la oposición votará –añade–, porque vemos que no sirve para nada. Harán todas las trampas que sean necesarias para que Chávez se quede en el poder, quién sabe si los 20 años que él dijo”.Montserrat Mogas nos dice de entrada: Estem fotuts! La vicepresidenta del Centre Català dice que siente “desesperación” porque “poco a poco, se va afianzado un modelo totalitario, diferente al cubano pero cada vez más parecido: ya tenemos miles de médicos, maestros, entrenadores deportivos; los cubanos controlarán el país”.
A Mónica Peña Carbonell, docente, se le humedecen los ojos al decirnos que la mitad de sus amigos, catalanes o no catalanes, ya se han ido del país. “La mayoría se va porque no quieren que sus hijos crezcan en un régimen totalitario. Siento angustia, una profunda tristeza, indignación. En este referéndum hemos sido robados, vejados”. Otra socia, Teresita Girau, dice: “Los chavistas hacen lo que les da la gana, con total impunidad. Han pisoteado a la colectividad, a la dignidad, a la moral. Fuimos con alegría y entusiasmo a votar, pero vemos que todos los poderes están al servicio de Chávez. Somos víctimas de un fraude muy astuto. No tenía ningún proyecto de irme de Venezuela, pero ahora me lo planteo porque tengo dos hijos que quiero que vivan en libertad. Chávez habla de profundizar la revolución. ¿Qué quiere decir? ¿Implantar una dictadura como en Cuba? Estoy muy angustiada”.
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