Tuesday, August 31, 2004

“La France ne sera pas épargnée”

Iyad Allaoui, premier ministre irakien : “La France ne sera pas épargnée. Il y aura des attentats à Paris, à Nice, à Cannes...”
Le Monde, 30/08/2004.

Bagdad, de notre envoyée spéciale.

Cet entretien a été accordé, dimanche 29 août, outre à l’envoyée spéciale du Monde, aux correspondants du Washington Post, du Sunday Times, du Los Angeles Times, de Knight-Readers et du Corriere della sera.

Après l’assassinat d’un journaliste italien, deux journalistes français sont menacés du même sort. Quelle est votre réaction ?

J’ai transmis au premier ministre italien mes condoléances. Nous avons toujours dit que la guerre en Irak opposait les forces du mal au peuple irakien et aux nations civilisées. C’est une guerre rude. Vous ne pouvez pas vous contenter de demi-mesures. La France ne sera pas épargnée, pas plus que l’Italie, l’Espagne ou l’Egypte. Les peuples doivent se donner la main pour combattre le terrorisme, quel que soit l’endroit où il se manifeste. L’Irak est devenu le théâtre majeur de confrontation du terrorisme. C’est en Irak qu’il faut s’unir pour le défaire, une fois pour toutes.

Ce qui est arrivé au journaliste italien, ce qui arrive en ce moment aux Français, ainsi qu’à ceux qui, comme la France, se sont opposés à la “guerre contre le terrorisme”, montre que personne ne sera épargné. Le terrorisme ne connaît aucune limite. Eviter la confrontation n’est pas une réponse.

Enzo Baldoni était un pacifiste qui militait pour le retrait des troupes italiennes...

Oui, mais ça, ils s’en fichent ! Les terroristes ne cherchent pas à savoir si vous êtes ou non un avocat de la paix. Leur but est de semer la confusion et de détruire la civilisation.

Pensez-vous que l’affaire des otages français provoquera un changement de la politique de la France en Irak ?

Les Français, ainsi que tous les pays démocratiques, ne peuvent pas se contenter d’adopter une position passive. Les Américains, les Britanniques et les autres nations qui se battent en Irak ne se battent pas seulement pour protéger les Irakiens, ils se battent aussi pour protéger leur propre pays.

Les gouvernements qui décident de rester sur la défensive seront les prochaines cibles des terroristes. Les attentats se produiront à Paris, à Nice, à Cannes ou à San Francisco. Le temps est venu d’agir contre le terrorisme, de la même façon que, jadis, l’Europe a combattu Hitler. Tous les jours, des dizaines de personnes sont tuées en Irak. Elles ne meurent pas parce que nous traversons une crise nationale majeure, mais parce que nous avons décidé de combattre le mal. C’est pourquoi toute la communauté internationale doit nous aider, au plus vite, pour améliorer la sécurité de notre pays.

Un jour, les Etats-Unis ont décidé de débarquer en Normandie, pour éliminer Hitler. Ils ont essuyé de lourdes pertes pour accomplir cet objectif. Il se produit la même chose aujourd’hui. Les peuples doivent prendre leurs responsabilités. La décision d’aider l’Irak était courageuse.

Laissez-moi vous dire que les Français, malgré tout le bruit qu’ils font — “Nous ne voulons pas la guerre !” —, auront bientôt à combattre les terroristes.

Vous venez de conclure un accord pour ramener la paix à Nadjaf. Ne permet-il pas à l’imam Moqtada Al-Sadr de réorganiser son armée ?

Depuis le début, notre position était claire : démantèlement des factions armées à Nadjaf, Koufa et dans tout l’Irak. En même temps, nous avons dit que les hommes de Moqtada Al-Sadr pouvaient, s’ils le voulaient, participer au processus politique. Nous avons voulu donner, jusqu’au bout, une chance à la paix. Nous savions que ces milices voulaient nous piéger en nous forçant à attaquer le mausolée [de l’imam Ali]. Si celui-ci avait été abîmé, il y aurait eu de graves complications. J’ai donc décidé que nous n’utiliserions la force qu’en dernier ressort. Quand j’ai posé un ultimatum de 24 heures, nos forces étaient prêtes pour l’assaut.

Aucune milice ne sera tolérée. Les miliciens peuvent accepter l’amnistie et vivre comme des citoyens ordinaires. Sinon, nous les pourchasserons. Il n’y a aucune voie intermédiaire.

Êtes-vous prêt à intégrer au gouvernement les mouvements de résistance ?

Notre problème est de comprendre ce qu’ils veulent vraiment. S’ils souhaitent gouverner, alors il n’y a pas de problème : les élections approchent et tous les postes leur sont ouverts, si les Irakiens votent pour eux. S’ils veulent mettre dehors les forces multinationales, ils n’ont qu’à gagner les élections, aller aux Nations unies et leur dire qu’ils n’en veulent plus : elles partiront. En attendant, rien ne justifie qu’on tue des gens, occupe des mosquées et perturbe toute la vie de ce pays.

Nous essayons de les rassurer : nous n’allons pas rester éternellement au pouvoir, comme Saddam. Nous sommes ici dans le but de reconstruire le pays. Le gouvernement a voté une loi qui me donne le pouvoir d’imposer l’état d’urgence pour restaurer la sécurité. Je ne l’ai pas encore utilisée, parce que la démocratie doit prévaloir.

Pourquoi la résistance armée a-t-elle pris une telle ampleur en Irak ?

C’est une situation complexe. Environ 30 000 criminels ont été libérés par Saddam juste avant la guerre. Il y a les gens déçus, sans travail et sans ressources, des centaines de milliers. Il y a les éléments de l’ancien régime qui savent que, s’ils sont attrapés, ils devront rendre des comptes à la justice et qui veulent donc ruiner le processus politique. Il y a les combattants étrangers venus d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, d’Iran. Enfin, il y a des groupes salafistes qui s’attaquent à tout ce qui touche à la civilisation et qui croient mener une croisade contre le christianisme. Ce n’est pas une résistance, car ces gens n’ont pas de programme, aucune idée politique. Les Américains ont commis beaucoup d’erreurs ici, pendant et après la guerre. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Mais ce n’est pas une raison pour tuer. Le processus politique est en cours. Dans six mois, s’ils le veulent, Allaoui, c’est fini ! C’est ça la démocratie. Ils voteront pour Moqtada Al-Sadr, Ben Laden ou qui ils veulent.

Pensez-vous avoir une chance aux prochaines élections ?

Si je suis encore vivant ! Tous les jours, je reçois des menaces, je fais l’objet de tentatives d’assassinat. Alors, ai-je une chance aux élections ?... Je n’en sais rien.

Pensez-vous que les élections pourront avoir lieu à la date prévue ?

Absolument. Le gouvernement a pris toutes les mesures nécessaires pour qu’elles aient lieu. Et elles auront lieu, si Dieu le veut.

(Propos recueillis par Cécile Hennion.)

0 Comments:

Post a Comment

<< Home